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De la cité de Dieu à la cité des hommes
Arlette Jouanna   Le Pouvoir absolu - Naissance de l'imaginaire politique de la royauté
Gallimard - L'Esprit de la cité 2013 /  27.50 € - 180.13 ffr. / 436 pages
ISBN : 978-2-07-012047-5
FORMAT : 15,0 cm × 22,2 cm

L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est professeur agrégé, docteur en histoire et enseigne en classes préparatoires à Saint-Ouen.
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Ce compte rendu est parfaitement dérisoire au regard du talent, de l’érudition, de la pensée claire et du style limpide d’Arlette Jouanna, devenue au fil de ses livres une des plus importantes historiennes françaises. Avec la force des vrais esprits, elle sut ne pas s’embarrasser des modes de la communauté historienne, notamment ce sabir scientifique qui obscurcit tout et coupe la discipline du plus grand nombre. Arlette Jouanna réussit à s’imposer par la richesse de ses interrogations et la clarté de ses réponses offrant à l’honnête homme une manière simple (et non pas simpliste) de comprendre ce XVIe siècle qui occupa toute sa carrière.

Pour elle, le siècle de la Renaissance et des guerres de Religion fut en quelque sorte une sortie de route de l’histoire nationale dominée par un modèle politique qui put très bien ne pas être le sien : l’absolutisme du XVIIe siècle. En effet, au début du XVIe siècle, le pouvoir absolu était pensé comme le degré extrême d’une puissance à laquelle le roi pouvait recourir uniquement dans des situations extraordinaires. En revanche, à la fin du XVIe siècle, la monarchie, confrontée aux défis des conflits religieux, allait faire de cette puissance absolue le fonctionnement normal de son action.

Pour en arriver à ce renversement prodigieux des conceptions du pouvoir, mille digues idéologiques sautèrent peu à peu. Au début du siècle, l’office royal était conçu comme une faculté humaine d’origine divine capable de déchiffrer l’ordre de l’univers et d’y conformer l’ordre politique. Gouverner par la raison consistait à se conformer à l’ordre naturel dont émanait nécessairement le droit. La délibération était donc un élément majeur de la fabrication de la législation royale : les conseillers, les parlements aidaient le souverain à produire les règlements les plus appropriés. La médiation entre le ciel et la terre passait certes prioritairement par le monarque, mais elle empruntait aussi «le canal secondaire des grandeurs naturelles du sang et de la suréminence sacrée des juges», comme l’écrit l’auteur.

L’expérience de la pluralité religieuse jeta dans la civilisation un soupçon sur la capacité réelle des hommes à connaître les intentions de Dieu. Cette altération du lien entre la loi divine et l’ordre de la cité terrestre fut telle que l’autorité législatrice du roi en fut profondément ébranlée. Déjà Machiavel avait postulé, dans l’Italie dévastée par la fureur française, que le gouvernement temporel des hommes ne reposait sur aucune loi cosmique. Déjà la découverte des civilisations amérindiennes avait montré qu’il pouvait exister un ordre social en dehors de l’ordre de Dieu. Au milieu du XVIe siècle l’idée d’un ordre juste s’effondra et la continuité entre la cité de Dieu et la cité des hommes s’estompa.

Dès lors, le droit positif releva d’une création humaine et ne s’enracinait plus dans une quelconque transcendance. Dans ces conditions les défis formidables des guerres de Religion justifièrent le recours à un pouvoir décisionnel rapide et efficace du roi. Jean Bodin joua un rôle décisif dans ce glissement en affirmant péremptoirement que «la loi n’est autre chose que le commandement du souverain». Bref, la stabilité politique du royaume passait par la réduction notable des possibilités d’action des sujets et une sacralisation non pas seulement de la fonction royale, mais du souverain lui-même. Encore fallait-il un monarque capable d’incarner la transcendance dont la monarchie voulait s’investir : ce fut Henri IV.

Pour Arlette Jouanna, le mouvement ligueur était profondément réactionnaire en ce sens qu’il contestait l’intimité mystérieuse que le roi affirmait partager avec Dieu. Ces «fous de Dieu» désiraient réaffirmer l’osmose entre l’ordre divin et l’ordre juridique en redonnant la parole à Dieu au risque d’une épuration des structures politiques et une refondation complète des hiérarchies sociales. Mais en concédant à leurs ennemis la force immédiatement exécutoire du pouvoir et en reconnaissant que le roi était soumis à la volonté libre de Dieu, les Ligueurs précipitèrent l’évolution des mentalités : le XVIIe siècle triomphant de l’absolutisme pouvait commencer.

Brillant ouvrage donc, envoûtant, intimidant même, permettant de jeter un regard informé sur notre actualité quand on pense que des milliers de personnes défilent en ce moment dans les rues au nom du ''droit naturel'' sur lequel reposeraient les familles. Livre aussi qui pose une question méthodologique pour les historiens : la lecture culturelle des évolutions des idées politiques demeure-t-elle suffisante pour expliquer les changements d’une société ? Le paradigme marxiste est-il à ce point dépassé par les historiens français pour arriver à gommer intégralement de leurs réflexions les problématiques économique et les tensions sociales ?

Simple question qui n’est absolument pas une réserve à l’égard de cet ouvrage.


Matthieu Lahaye
( Mis en ligne le 21/05/2013 )
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