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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Histoire globale
Thierry Sarmant   1715 : la France et le monde
Perrin - Synthèses historiques 2014 /  24 € - 157.2 ffr. / 461 pages
ISBN : 978-2-262-03331-6
FORMAT : 15,2 cm × 23,9 cm

Thierry Sarmant collabore à Parutions.com

L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer est conservateur général aux Archives nationales et professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié : Richelieu (Flammarion, 2004), La Double mort du roi Louis XIII (Flammarion, 2007) ainsi que Monsieur Descartes (Flammarion, 2010).

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«L’histoire est un luxe qui se mérite et auquel peuvent seuls prétendre les riches et les puissants, un luxe utile qui est un peu, à la limite, aussi, une condition de la puissance», écrivait naguère Pierre Chaunu (L’Expansion européenne, 1969). Sans se départir du classicisme qui préside à l'ensemble de sa production d'historien, Thierry Sarmant manifeste aujourd'hui sa «volonté de puissance» en régnant non seulement sur le passé, en l'espèce l'année 1715, mais également sur l'espace, puisque cette évocation de l'année dont on célèbre le tricentenaire est placée sous des auspices planétaires, qui entend prendre la forme d'un tableau du monde au début du XVIIIe siècle. Pour un historien, nul ne saurait en douter, il est toujours plus enrichissant de tenter de replacer le point étudié, fût-il des plus ponctuels et érudits, dans un environnement plus large. Et la présente entreprise, qui repose sur une longue pratique du Grand Siècle, ainsi que sur une belle capacité de synthèse d'une large bibliographie, et s'accompagne d'une grande clarté d'expression, est assurément réussie ; il s'agit de partir de la France, d'en sortir et de parcourir un vaste monde non encore mondialisé.

Le lecteur prend plaisir à la lecture de ces chapitres qui, à partir de la chambre où meurt Louis XIV, le mènent d'abord à travers l'Europe contemporaine aux prises avec la liquidation de la guerre de succession d'Espagne qui a fait éclore la puissance anglaise en un temps qui constitue comme l'ouverture de ce qui va s'affirmer comme le Siècle des Lumières. Suit un parcours planétaire qui s'éloigne du Roi Soleil et, d'un bel élan, englobe le monde ottoman, la Perse et l'Inde moghole, l'Extrême-Orient chinois, le nord russe et scandinave, l'Amérique et, à travers elle enfin, l'Afrique, un voyage autour du monde qui entend mettre en lumière les conditions de l'hégémonie mondiale développée par l'Occident et qui constituera un itinéraire apprécié par tout amateur de récit historique bien informé. Pourquoi fait-on ou lit-on de l’histoire, sinon pour comprendre mieux le monde dans lequel on vit, voire se comprendre ?

Bien évidemment, tout spécialiste estimera la part apportée à ses thèmes de prédilection trop restreinte et relèvera quelques omissions bibliographiques ; nous n'échapperons pas à cette règle de cuistrerie érudite, remarquant au passage l'absence des travaux de Sixte de Bourbon-Parme sur la guerre de Succession d'Espagne et les traités d'Utrecht, ceux d'Henry Méchoulan sur Amsterdam et les Provinces-unies, surtout une trop grande discrétion à l'endroit du testament de Louis XIV, erreur majeure étonnante d'un souverain qui ne manquait pourtant ni de sens ni de pratique politiques, et qui va plomber tout le XVIIIe siècle français...

Guerre et paix, diplomatie, pouvoir et rapports de force sont les thématiques classiques qui forment une excellente base pour aller plus loin et approfondir de manière plus problématique certains thèmes dont certains sont évoqués sans pouvoir être développés, alors que d'autres n'ont pas été retenus : pêle-mêle, les échanges, la démographie, la cartographie, les moyens de la connaissance du monde et les itinéraires maritimes et terrestres et leurs délais («le monde mesure 5 ans», disait Chaunu) ; le dévoilement d’un désenclavement du monde, où l’espace se découvre au rythme du temps qu’il faut pour le parcourir auraient assurément mérité un chapitre ; mais encore les épidémies, évoquées à propos de la peste de Marseille, et qui constituent le premier mode de coopération à échelle internationale et font de Marseille le passage obligé pour les relations avec l'Orient, la question des sociétés de cour, de la circulation des savoirs, celui du rôle du christianisme dans le développement, non seulement des Lumières, mais surtout de la maîtrise technique de l'Occident. Les potentialités de l'histoire à échelle mondiale se révèlent infinies ; elles ne se mesurent qu'à l'aune des sources et de la virtuosité imaginative des historiens à les mettre en œuvre...

On passera alors d'une World History descriptive aux méandres infinis de l'histoire connectée, de Pierre Chaunu hier avec ses vastes perspectives statistiques à Sanjay Subrahmanyam aujourd'hui qui abandonne cette visée quantitative pour plonger dans les archives et en tirer une histoire à visage humain et aux facettes diverses ; tant va allègrement l'histoire qu'elle sait faire place à des approches multipliées sans altérer un classicisme dont la belle couverture de l'ouvrage de Thierry Sarmant dit toute la séduction.


Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 23/12/2014 )
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