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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Pour une définition de la petite notabilité | | | Anne Rolland-Boulestreau Les notables des Mauges - Communautés rurales et Révolution (1750-1830) Presses universitaires de Rennes 2004 / 22 € - 144.1 ffr. / 408 pages ISBN : 2-86847-914-6 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: Natalie Petiteau, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Poitiers, est historienne de la société du XIXe siècle et de la portée des années napoléoniennes. Elle a notamment publié Napoléon, de la mythologie à l'histoire (Seuil, 1999) et Lendemains d'Empire: les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle (Boutique de l'histoire, 2003).
Elle est par ailleurs responsable éditorial du site http://www.calenda.org. Imprimer
Tiré dune thèse de doctorat dhistoire menée sous la direction de Jean-Clément Martin, ce livre nest pas une monographie de plus sur la Vendée mais une approche de lattitude des populations anonymes dans la Révolution. Lintroduction place résolument le travail ici entrepris sous la problématique de la petite notabilité, afin de voir ce quil en est de la continuité de lexercice du pouvoir. Cette question de départ est posée à partir de trois villages des Mauges - entre le Choletais et la Loire -, dont celui du Pin-en-Mauges, doù est originaire Jacques Cathelineau, chef vendéen notoire. La méthode danalyse est donc celle de la micro-histoire. Les trois communautés retenues pour constituer le terrain denquête, voisines, nont pas pour autant le même profil économique et démographique. A partir de leur exemple, il sagit de réexaminer les propositions dAndré Siegfried tendant à présenter les Vendéens comme enclins à une soumission passive. Pour ce faire, trois questions sont envisagées : lexercice du pouvoir dans ces communautés, son évolution puis le rapport des notables et de la société locale avec les guerres de Vendée. De létude de la petite notabilité, ce travail passe finalement à celle de la politisation et de la cohésion interne dun groupe : il vise à étudier lidentité dun micro-territoire à lépreuve dune guerre civile, le rapport entre les Mauges et la France en Révolution.
La première partie porte sur le XVIIIe siècle pour tenter de définir ce que sont alors les notables des Mauges. Lauteur part à la recherche des notables locaux au travers des témoins convoqués pour certifier un acte de notoriété. On peut certes être surpris de ladoption de cette démarche qui, conduisant à dépouiller les minutes de cinq études, de 1764 à 1790 - soit 4 772 actes - na permis dexhumer que huit actes de notoriété. Cependant, ces quelques actes font appel au total à 45 notables, au rang desquels se trouve une majorité de marchands. Ils mettent de surcroît en évidence quelques individualités dont les itinéraires éclairent le processus daffirmation de la notabilité locale : la richesse du marchand compte, mais les fonctions politiques de syndic de paroisse également, surtout quand elles sont assumées de père en fils. On aurait toutefois apprécié de ne pas être contraint, au final, de se fier à la restitution dun seul itinéraire. Anne Rolland repère ensuite ceux qui, toujours dans les actes notariés, sont qualifiés dhonnête homme : ils témoignent du rôle de la richesse du cheptel de tel ou tel métayer. Au total, limportance de la famille, le cumul des richesses et la variété des biens font la notabilité locale, qui peut se perdre avec lobligation de renoncer, par exemple, au bail de tel moulin. Quant à litinéraire initial de Jacques Cathelineau, voiturier-colporteur, il montre notamment le rôle des fonctions de syndic des habitants : il est nommé à cette fonction pour lannée 1786, fonction qui fait alors de lui le personnage central de lassemblée de habitants, fonction à laquelle il accède notamment en raison de la position de son père dans le village du Pin-en-Mauges. Par ailleurs, la parentèle des Cathelineau illustre les modes de constitution dun réseau : ainsi quatre familles, sur les neuf que compte la parentèle des Cathelineau, sont alliées les unes aux autres. Et lon y retrouve les noms des notables locaux. Mais, en utilisant minutieusement les actes paroissiaux, y compris les données que fournissent les mentions de témoins, Anne Rolland reconstitue la totalité du réseau au cur duquel se trouvent les Cathelineau, ainsi que les liens tissés entre les membres de ce réseau. Cest finalement bien à tort que les historiens de la Contre-Révolution ont laissé croire que Cathelineau était parti de rien. Cest à tort aussi quils ont donné des communautés de village vendéennes limage dune société homogène dépourvue de conflits mais isolée.
La deuxième partie examine comment la notabilité rurale réagit à la guerre civile. Les réformes révolutionnaires ont induit un progressif renouvellement des élites municipales. Ici encore, Anne Rolland prend la précaution didentifier soigneusement les acteurs afin déclairer les processus de reconnaissance sociale. Toutefois, ne donne-t-elle pas trop dimportance à la parentèle - sur laquelle elle ne pousse peut-être pas suffisamment ses réflexions théoriques (elle aurait eu profit à lire par exemple lethnologue Tiphaine Barthélemy) - ? Certes, la politique au village est affaire de famille (p.127), au XVIIIe comme au XIXe siècle. Mais qui, au village, ne bénéficie pas de réseaux de parentèles étendus ? Ce quAnne Rolland met en évidence, ce nest peut-être pas tant le rôle de ces réseaux dans les premiers balbutiements politiques, que leur omniprésence dans les réalités sociales villageoises. Pour le savoir, il faudrait étudier les réseaux de parentèle de chaque membre de la communauté, travail toutefois infaisable, bien évidemment, dans le cadre de cette étude. Encore aurait-il fallu le dire, afin de montrer au lecteur que lauteur nest pas dupe des résultats de la micro-histoire, afin aussi dattirer lattention sur les limites méthodologiques auxquelles la micro-histoire sest jusquici toujours heurtée. Quoi quil en soit, ces élites sont amenées à gérer les conflits nés du refus des communautés face aux prêtres jureurs. Et cest finalement en mars 1793, lorsque doit avoir lieu le recrutement des troupes, que les Mauges entrent en révolte ouverte contre ladministration du département et contre les militaires républicains. Anne Rolland se propose ici didentifier qui part en révolte, avec quelles ambitions et quelles facultés. Elle utilise pour cela la liste des 27 premiers soldats du Pin-en-Mauges, établie dune part par le curé de cette paroisse, dautre part par un descendant de lun de ces hommes : le recoupement de ces deux sources révèle qui sont ceux qui ont suivi Jacques Cathelineau. Ils ne forment en aucune façon un rassemblement massif puisque, démographiquement, le Pin aurait pu fournir quatre fois plus dhommes à cette troupe, et dautres communes ont dailleurs donné des troupes bien plus nombreuses. Sur la composition même de cette troupe, Anne Rolland vient confirmer ce que A. Bendjebbar avait déjà suggéré pour lensemble des guerres de Vendée : les groupes de combat réunissent des frères, des amis, des voisins. A linverse, les treize volontaires patriotes engagés au service de la République ne sont pas des hommes issus de la sanior pars de leur commune, lengagement républicain concerne en fait des hommes mal implantés dans leur commune. Quant aux comités contre-révolutionnaires, ils comptent notamment les hommes mis en avant par les fonctions municipales, au début de la Révolution.
La troisième partie poursuit létude de la notabilité au temps de la reconstruction. La refonte des organisations étatiques, du Directoire à la Restauration, génère une fois de plus des conditions nouvelles démergences de notabilités, dautant mieux que lEtat, pour la reconstruction, a besoin dinterlocuteurs locaux. Mais dans le climat politique de laprès guerre de Vendée, il est difficile de trouver ces intermédiaires politiques. Pourtant, peu à peu, une notabilité politique se dégage, désormais composée presque exclusivement des élites agricoles et foncières. Ici aussi, limportance des liens de parenté au sein de ce groupe est minutieusement mise en évidence par Anne Rolland, mais là encore on se demande en quoi cela peut être une spécificité de la notabilité. Par ailleurs, le pouvoir central trouve dautres interlocuteurs au sein de lancienne noblesse terrienne, élite jusqualors marginalisée dans la vie politique locale, cantonale ou départementale. On voit ainsi comment le conflit vendéen a légitimé la place de la noblesse, comment il a créé des liens entre châtelains et paysans. Reconstituée, la cohésion des communautés joue après 1814 pour la reconnaissance des services rendus à la cause royale par des individus ordinaires arrachés à lanonymat par un fait darmes ou une mort tragique (J.-C. Martin). Les identités villageoises se cristallisent alors autour de la mémoire des guerres de Vendée, mais tous les combattants ne sont pas logés à la même enseigne dans la tentative pour obtenir une pension de lEtat bourbonien, tous ne disposent pas des mêmes soutiens de la part des anciens cadres des armées vendéennes.
Cet ouvrage montre comment les ruraux participent à la vie politique, mais aussi comment la guerre est productrice de cadres sociaux, comment les réseaux se tissent et fonctionnent. On pourra regretter que ce travail soit un peu enfermé et quen matière de comparatisme, il ne frappe pas toujours aux bonnes portes, et que le XIXe siècle y soit manifestement moins bien connu que lavant 1814. On sétonnera aussi de ce que certaines références bibliographiques soient erronées. Mais on se félicitera de ce que sa qualité globale soit accessible désormais à un lectorat plus large que celui dune thèse non publiée : car le livre dAnne Rolland vient témoigner des actuels renouvellements de lhistoire des XVIIIe et XIXe siècles, et il apporte des éléments essentiels pour la connaissance de la vie politique et sociale de la France à son entrée dans lère contemporaine.
Natalie Petiteau ( Mis en ligne le 12/04/2004 ) Imprimer | | |
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