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Un regard neuf et pionnier
Bruno Léal   La Crosse et le Bâton - Visites pastorales et recherche des pécheurs publics dans le diocèse d'Algarve (1630-1750)
Centre Culturel Calouste Gulbenkian 2004 /  30 € - 196.5 ffr. / 595 pages
ISBN : 972-8462-35-2

L’auteur du compte rendu : Eric Alary, Docteur es Lettres en Histoire de l’IEP de Paris, agrégé d’histoire, est professeur en Lettres et en Première Supérieures au lycée Camille Guérin (Poitiers), chercheur associé au Centre d’Histoire de Sciences-Po et au CRHISCO/ Université Rennes II.
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Avec ce premier ouvrage extrait de sa thèse de doctorat en histoire moderne, Bruno Léal, qui enseigne à l’Université de La Rochelle, apporte une contribution essentielle à la compréhension de l’histoire religieuse du Portugal aux XVIIe et XVIIIe siècles. En France, on connaît mieux les travaux sur l’Espagne du Siècle d’Or, notamment grâce aux nombreux ouvrages de B. Bennassar, F. Bethencourt (sur l’Inquisition notamment), J.P.Dedieu, etc.

Ce qu’apporte l’ouvrage volumineux de Bruno Léal à l’historiographie, c’est une très fine observation de la société du Portugal méridional sous l’Ancien Régime, fondée sur une méthodologie remarquable de rigueur. En France, nous connaissons bien les travaux sur les visites pastorales et leur objet comme celles de Robert Sauzet sur le diocèse de Chartres ou de Marc Venard sur la province d’Avignon. Mais pour le Portugal, il n’existait aucun équivalent. Et même les historiens portugais se sont peu penchés sur le sujet. Le livre de Bruno Léal comble cette quasi-lacune.

Dans le diocèse d’Algarve, à l’extrémité méridionale du Portugal, ce type d’inspection que représente la visite pastorale est singulier et nous ne pouvons pas la comparer trait pour trait avec les visites françaises. La visite pastorale est tombée en désuétude en Europe occidentale à la fin du Moyen-Age. La réformation protestante a contraint les catholiques à se pencher sur une contre-réformation que le concile de Trente a définie dans ses grandes lignes. Il restait à appliquer ses principes dans la réalité. Entre autres mesures, le concile a décidé de réactiver les visites pastorales afin de mieux contrôler les paroisses, d’uniformiser les comportements des fidèles et d’enquêter sur d’éventuelles déviances hérétiques et/ou sexuelles, sur des injures blasphématoires, etc.

En Algarve, Bruno Léal a pu exhumer des archives rares, non sans difficultés, car certaines sources n’étaient ni classées ni en très bon état. Bref, après plusieurs années de travail et le croisement des informations inédites collectées, l’auteur fixe les cadres de sa recherche dans la première partie de l’ouvrage, laquelle est partagée en trois chapitres. Cette première phase permet de délimiter le cadre spatio-temporel de l’histoire des visites pastorales en Algarve. Ensuite, l’auteur rappelle la nature fortement disciplinaire des enquêtes des visiteurs pastoraux sous l’Ancien Régime au Portugal. Une approche comptable clôt la partie.

La deuxième partie permet d’observer l’irrégularité des visites pastorales d’un évêque à l’autre. Celles-ci sont plus ou moins assidues au cours des deux siècles couverts par la recherche. Les évêques ont mené eux-mêmes les enquêtes, mais ont aussi eu recours à des hommes de confiance, parfois avec un zèle plus ou moins grand. Plusieurs séquences chronologiques se dégagent alors : celle de visites de plus en plus rares entre 1630 et 1671, période qui précède 1671-1704, où les visites sont plus régulières et sérieuses sous l’action de chanoines zélés ; ces deux premiers temps s’ouvrent sur 1705 – 1750, qui montre à nouveau un relâchement de la régularité des visites. Des dizaines de cartes fort précieuses complètent l’analyse ; elles permettent d’observer le parcours des visiteurs, année après année, leur identité et le nom des paroisses. Des centaines d’inspections sont effectuées au cours des cinquante premières années du XVIIIe siècle. 75 % des paroisses ont vu un visiteur enquêter grâce au mécanisme bien maîtrisé de la délation, le cœur de toutes les enquêtes disciplinaires. Sur les deux siècles, Bruno Léal a compté près de 1422 visites pastorales, ce qui témoigne, malgré des périodes plus relâchées, de la grande densité du contrôle des mœurs et des pratiques religieuses dans cette partie du Portugal.

Les troisième, quatrième et cinquième parties permettent à l’auteur de démonter magistralement le mécanisme de la délation qui permet d’interpeller les éventuels coupables d’écarts disciplinaires, à savoir ceux des pécheurs publics. Ces enquêtes ont eu un impact important sur les populations, car le choix des délateurs a obéi à des règles très précises. Les hommes sont davantage dénoncés que les femmes ; parmi les faits dénoncés : des pratiques religieuses non respectées, la pratique de l’usure, la débauche et les violences publiques, les blasphèmes, l’amour charnel hors mariage, les travaux et les loisirs illicites, etc. Le clergé «délinquant» ainsi que les pécheurs publics laïcs constituent les catégories visées par la répression ecclésiastique. L’absentéisme des prêtres est rarement signalé alors qu’il est à l’origine des angoisses des fidèles européens de la fin du Moyen Age, confrontés à un encadrement spirituel défaillant au moment où pestes, guerres et famines se répètent successivement ou simultanément. Les sorciers et les guérisseurs – ces derniers sont censés soignés les maux des habitants, ce qui leur confère une forme de respect importante dans la société rurale portugaise - ne sont pas épargnés par les mesures disciplinaires. La palette des récriminations est large et montre donc l’intérêt fort important des visiteurs pour tous les cas d’irrespect des règles religieuses. Ce sont en fait les fautes de mœurs qui représentent près de 93 % de toutes les fautes recensées, selon Bruno Léal.

Les peines infligées par les juges d’Algarve varient en fonction de la nature du délit, de l’identité et de la richesse ou non de l’individu incriminé, entre des amendes plus ou moins lourdes, la pénitence publique, les coups de fouet sans effusion de sang, les galères – pour le blasphème par exemple -, le bannissement – pour sorcellerie -, etc. Les peines publiques humiliantes revêtent une visée «pédagogique» de premier ordre. Certains visiteurs sont plus cléments que d’autres. Lorsqu’il y a hérésie, le dossier est transmis au Saint-Office, que le coupable soit membre ou non du clergé. Dans ce cas, tout est possible y compris la peine de mort.

A l’issue des cinq parties de l’ouvrage, Bruno Léal peut ainsi reprendre ses hypothèses de départ et proposer des réponses critiques fort pertinentes à partir de son enquête. Nous en relevons quelques unes ci-dessous :
- les visiteurs travaillent avec une efficacité plus ou moins grande grâce aux délateurs ; les témoins convoqués sont surtout des hommes mariés et d’âge mûr, mais pas exclusivement ; il existe d’autres critères de sélection fort bien développés dans l’ouvrage ;
- les peines sont de nature temporelle ;
- les visites d’enquête pastorale permettent de diffuser la doctrine catholique, de surveiller la gestion et les mœurs des paroisses de l’Algarve ;
- le volet disciplinaire des visites portugaises est singulier et marque un retour à une très vieille tradition restaurée au Portugal ; c’est le résultat de l’interprétation du Concile de Trente par l’Eglise portugaise.

opus magnum de Bruno Léal est doté d’un appareil critique irréprochable, d’annexes qui, sous forme de tableaux, détaillent entre autres l’ensemble des visites pastorales paroisse par paroisse. Le recueil des sources et la bibliographie raisonnée sont complétés par un index original des paroisses ; la table des documents dévoile enfin la présence de plusieurs photographies, mais surtout de 69 cartes, 80 tableaux, trois organigrammes, deux plans, un histogramme en couleurs et un graphique ! Cet ensemble répertorié in fine accompagne régulièrement le texte.

Une somme exceptionnelle de documents graphiques et statistiques enrichit considérablement – si besoin était - un texte bien écrit et très accessible aux lecteurs passionnés par l’histoire portugaise. Les spécialistes d’histoire moderne, mais aussi ceux de la péninsule ibérique et de l’histoire religieuse en général trouveront enfin, ainsi que les étudiants qui préparent des recherches dans ces domaines - sans oublier ceux qui travaillent pour des exposés précis ou des concours de l’enseignement - un outil de travail très riche, très fouillé et tissé patiemment, avec pugnacité par un jeune enseignant/chercheur qui ouvre là des pistes inexplorées et en suggèrent encore bien d’autres.


Eric Alary
( Mis en ligne le 07/03/2005 )
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