Bertrand Jeanmougin - La guerre oubliée - 1678-1684 Economica 2005 / 29 € - 189.95 ffr. / 236 pages ISBN : 2-7178-5044-9 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
La chronologie des guerres louis-quatorziennes est bien huilée : guerre de Dévolution, guerre de Hollande, guerre de la Ligue dAugsbourg, guerre de Succession dEspagne. Mais parfois, une découverte impromptue vient mettre en cause les explications traditionnelles. Bertrand Jeanmougin joue le rôle de grain de sable dans cette machinerie grâce à cette étude qui met en lumière une guerre, négligée, oubliée, une courte guerre menée par Louis XIV contre lEspagne suite à la politique des Réunions.
Le plan suivi par lauteur est chronologique afin de mieux suivre la lente avancée vers une guerre inexorable. La première partie («La paix rongeante et envahissante») étudie les lendemains de la paix de Nimègue qui, bien loin dapaiser les rancurs, sont loccasion de contester le tracé des nouvelles frontières et dannexer des territoires en formulant des justifications parfois très contestables juridiquement. Ces annexions prennent une nouvelle dimension avec la politique des Réunions : M. Jeanmougin étudie non seulement comment la France sorganise pour conquérir ces territoires en temps de paix mais également les modalités de leur intégration au royaume et bien sûr les réactions espagnoles et allemandes, pays où lexaspération grandit devant les menées du Roi Soleil.
Cest pourquoi peu à peu lEurope réorganise ses forces pour ne pas que léquilibre soit brisé par la France (deuxième partie : «LEurope coalisée contre Louis XIV»). Lauteur analyse la situation des principaux pays impliqués dans laffaire (Provinces-Unies, princes de lEmpire, Angleterre) et lorganisation dune ligue fragile, mal organisée, dont les participants ont des intérêts divergents, mais une ligue effective pour réagir contre ce qui est vu comme une agression et un risque pour lEurope.
Cela ne pouvait que déboucher sur un conflit armé, court, circonscrit, mais non sans conséquences. Le principal fait darme est le siège de la ville de Luxembourg, prise par Louis XIV, Vauban et le maréchal de Créqui le 4 juin 1684. Lévénement est largement célébré à lépoque : la peinture de Van der Meulen qui illustre la couverture du présent ouvrage en est un témoignage. La guerre se conclut par un congrès afin de négocier une trêve. Celle-ci débouche sur la reconnaissance de la plupart des annexions : le royaume a gagné près de 8 000 km², la plupart entre Meuse et Moselle.
Ce livre est issu dun travail de maîtrise dhistoire moderne soutenu en 2001 à lUniversité Paris-IV Sorbonne sous la direction de Lucien Bély. Il prend place dans la collection «Campagnes et stratégies» des éditions Économica, qui vise à renouveler lhistoire militaire par des monographies consacrées à une bataille ou une campagne traitées sous des angles novateurs. Lucien Bély, professeur à la Sorbonne, remet utilement dans sa préface ce livre en perspective en explicitant le contexte de la politique des réunions et de la guerre.
Louvrage repose sur un travail important de dépouillement de sources inédites qui permettent détudier cette guerre aussi bien du point de vue des conquérants que des conquis : ont été en particulier mises à profit les Archives nationales du Luxembourg, les archives du ministère des Affaires étrangères en France ainsi que la correspondance de Louvois conservée au Service Historique de la Défense de Vincennes.
Le style simple et plaisant de lauteur, les chapitres courts qui permettent de facilement appréhender la démonstration, les nombreuses citations de sources qui donnent vie au récit, tout concourt à faire de cet ouvrage une lecture agréable. Des notes de bas de page en nombre raisonnable permettent dexpliciter les points obscurs ou dapporter des précisions sans interrompre le fil du récit.
La bibliographie est volontairement courte, peut-être un peu trop courte puisque cela amène lauteur à passer sous silence bien des livres utiles à son étude, quil sagisse de classiques (Le Louvois de Corvisier par exemple) ou darticles spécialisés. En revanche, on se réjouit que le livre soit parsemé dun bon nombre de cartes, puisquune bonne partie de laffaire se joue dans les campagnes du Luxembourg ou des Pays-Bas espagnols, dont la topographie est peu connue du lecteur moyen. Ces cartes, réalisées par lauteur lui-même, éclairent le texte et permettent de suivre les revendications et les annexions françaises de manière précise. On se réjouit également de la présence dun index complet (où quelques renvois manquent : on désigne par exemple plus souvent le comte de Crécy par son patronyme de Verjus, entrée qui manque). Des annexes, à lorthographe modernisée, offrent au lecteur la possibilité de se plonger dans les textes et documents de lépoque afin dentendre le témoignage de Vauban ou de suivre le siège de Luxembourg grâce à un plan sur lequel sont portées les batteries.
Cette courte mais intéressante monographie apporte donc beaucoup : elle est riche en analyses et faits nouveaux qui éclairent mieux que jamais les menées de Louis XIV à la conquête des Pays-Bas espagnols dans les années 1680, dans leur méthode et leur organisation, la naissance et la préparation dune guerre certes localisée mais reposant sur une coalition européenne et les négociations qui mettent fin à un tel conflit. Elle jette un jour nouveau sur le véritable tournant du règne de Louis XIV : le roi est à lapogée de sa puissance en 1684, la trêve de vingt ans signée à Ratisbonne aurait pu lui amener solidité et pérennité si les agressions réitérées du souverain français navaient entraîné la constitution dune ligue autrement plus solide qui marqua le début de ses déboires. L«histoire-batailles» a donc su survivre aux quolibets qui la poursuivent depuis 60 ans en se renouvelant considérablement pour se transformer en histoire totale intégrant problématiques sociales et histoire diplomatique.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 01/09/2005 ) Imprimer |