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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Aux origines du dictionnaire | | | Alain Rey Antoine Furetière - Un précurseur des Lumières sous Louis XIV Fayard 2006 / 19 € - 124.45 ffr. / 203 pages ISBN : 2-213-63025-9 FORMAT : 16,0cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
Quand un lexicographe rencontre un autre lexicographe, quest-ce quil en sort ? Des histoires de lexicographes, bien sûr. À cet égard, Alain Rey ne pouvait manquer de rencontrer Antoine Furetière, auteur de lancêtre des Larousse et autres Robert, père des dictionnaires français.
On ne présente plus Alain Rey, que sa présence médiatique a rendu célèbre. Travaillant chez Robert depuis près de 40 ans, il est lauteur dun grand nombre de dictionnaires de référence, dont le très utile Dictionnaire historique de la langue française (1992) ou le Dictionnaire culturel de la langue française (2005). Les auditeurs de France-Inter regrettent ses chroniques étymologiques : lérudition quil mettait au service de léclaircissement dune notion ou dun fait afin de la mettre en perspective, le tout sur un ton plaisant, était un modèle de vulgarisation intelligente.
Il met ici sa plume et ses connaissances au service dun homme qui a eu une influence majeure dans lhistoire littéraire et celle des idées. Antoine Furetière est né en 1619 dans un milieu de petits bourgeois parisiens. Comme il est habituel dans ce milieu, il fait des études de droit et devient avocat. Il achète en 1652 une charge de procureur fiscal de labbaye Saint-Germain-des-Prés et obtient de petits bénéfices ecclésiastiques. Parallèlement, il commence à rédiger des vers et fréquente les cercles qui gravitent autour de Mainard. En 1649 paraît sa première uvre, un long poème burlesque publié anonymement, bientôt suivi par une satire, Le Voyage de Mercure, et des poésies diverses recueillies depuis presque dix ans. Ces quelques uvres, mais également ses amitiés littéraires et le soutien de quelques grands lui ouvrent les portes de lAcadémie en 1662, année où il échange ses deux prieurés contre labbaye de Chalivoy. Mais cest surtout pour deux de ses ouvrages que Furetière est connu. Le premier est le Roman bourgeois, publié en 1666, un des grands romans du XVIIe siècle. Le second est bien entendu son Dictionnaire universel.
En tant que membre de lAcadémie, Furetière participait aux travaux de rédaction du dictionnaire de lauguste assemblée. Cependant, le travail est long et les académiciens, peu motivés. Finalement, il publie son propre dictionnaire en 1684, malgré le privilège que possédait lAcadémie : cet épisode ouvre la porte à dinfinies contestations, qui aboutissent à lexclusion de Furetière. Ce dernier meurt en 1688 mais son dictionnaire lui survit : en 1690, à loccasion de sa réédition en Hollande, Pierre Bayle rédige une préface, soulignant ainsi le rôle de ce dictionnaire dans lévolution des idées qui se fait jour en cette fin de siècle.
Le livre ne se limite toutefois pas à la biographie de Furetière. A. Rey y joint une très intéressante étude sur le Dictionnaire, passant par le choix des mots (au sens de la querelle avec lAcadémie), le travail lexicographique de lauteur, sa manière de rédiger les notices. Au final, à travers une uvre pouvant sembler impersonnelle, cest toute une vision du monde, originale et personnelle, qui apparaît.
On se rend bien compte à la lecture que M. Rey fait son travail honnêtement : il tente de nuancer les jugements qui ont été portés sur Furetière avant lui, il fait la part des choses entre réalité historique et légendes colportées par les ennemis, il analyse tant bien que mal les enjeux littéraires et de pouvoir de lépoque. En cela, son ouvrage est intéressant et utile. Mais il est évident quil nest pas spécialiste de la période. Un grand nombre derreurs le trahissent et font mauvaise impression. Par exemple, Richelieu aurait du mal à pousser quelquun à lAcadémie en 1654 pour la bonne raison quil est mort depuis douze ans (p.62) ! On pourrait ainsi multiplier les exemples dinexactitudes, derreurs et de naïvetés
Il est vrai que lentreprise nest pas aisée car on manque souvent darchives pour ce genre de travail. Dans le cas de Furetière, les sources sont souvent partiales : la plupart des renseignements que nous possédons sur lui proviennent de ses ennemis, qui ne le ménagent évidemment pas. Mais cela devrait inciter son biographe à chercher avec ardeur de nouvelles sources, éventuellement par des biais détournés. Or, il semble que M. Rey nait pas vu darchives pour ce travail. Cest très ingénument quune note nous avertit que la couverture ne porte pas la signature du biographé comme il est dusage pour les biographies dauteurs chez Fayard «car nous navons pas trouvé doriginaux». Cette notation est très surprenante puisque les Archives nationales se sont depuis longtemps fendu dun répertoire des sources du Minutier central concernant lhistoire littéraire du XVIIe siècle : les chercheurs ont lextraordinaire chance de ne pas même avoir à chercher les documents, tout (lessentiel en tout cas, car ce répertoire nest pas exhaustif) leur est donné sur un plateau. Comment peut-on alors ne pas trouver doriginaux ? Un petit séjour aux Archives nationales (Arch. nat., Min. centr., CIX, 193 ; XVI, 279 ; VIII, 711 etc.) permettra de trouver non seulement des signatures autographes du plus bel effet, mais également des documents qui auraient enrichi louvrage avec bonheur, notamment linventaire après décès de Furetière, avec une prisée de sa bibliothèque. On peut à la rigueur faire limpasse sur les archives si lon sintéresse essentiellement à luvre dune personne. Peut-on en revanche ne pas voir dactes notariés lorsque lon prétend donner des renseignements sur sa fortune (par exemple, p.27) ? Ainsi, les passages sur le dictionnaire sont très intéressants et beaucoup plus poussés que ceux purement biographiques.
Le livre est utile : il sagit de la première vraie tentative de biographie de Furetière ; malgré ses défauts, il est une agréable contribution à lhistoire des idées à la fin du XVIIe siècle. Sachons également gré aux éditions Fayard de proposer un cahier dillustrations, une bibliographie et un index sélectif (peut-être un peu trop sélectif). Signalons enfin que le lecteur curieux pourra poursuivre sa découverte de Furetière en lisant le récent et très savant ouvrage de Marine Roy-Garibal, Le Parnasse et le Palais. Luvre de Furetière et la genèse du premier dictionnaire encyclopédique en langue française (Honoré Champion, 2006).
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 30/11/2006 ) Imprimer | | |
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