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Les mystères d’un crime d’Etat
Arlette Jouanna   La Saint-Barthélemy - Les mystères d'un crime d'Etat, 24 août 1572
Gallimard - Les journées qui ont fait la France 2007 /  26 € - 170.3 ffr. / 407 pages
ISBN : 978-2-07-077102-8
FORMAT : 15,0cm x 22,0cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Les éditions Gallimard ont eu l’excellente idée de reprendre l’ancienne collection «Les trente journées qui ont fait la France», en rééditant quelques titres devenus des classiques et en ouvrant à d’autres auteurs (récemment Michel Winock a donné L’Agonie de la IV république, 13 mai 1958). Désormais la collection, qui reste fidèle à l’idée première d’accorder toute son importance à l’histoire politique (mais profondément renouvelée), se nomme «Les journées qui ont fait la France».

C’est à Arlette Jouanna, historienne reconnue du XVIe siècle (auteur du Devoir de révolte, elle a - entre autres- dirigé Histoire et Dictionnaire des guerres de religion), qu’est revenu la tâche difficile de présenter la Saint-Barthélemy, journée terrible du 24 août 1572, au cours de laquelle les catholiques massacrèrent les protestants à Paris (mais aussi en province) durant plusieurs semaines. Ce dimanche 24 août 1572, un bourgeois de Strasbourg en séjour à Paris note que les rues sont humides «comme s’il avait beaucoup plu»,(p.8), mais c’est de sang qu’elles ruissellent. Victimes dénudées avant d’être assassinées, corps jetés à la Seine, cadavres mutilés, hommes, femmes, enfants, vieillards : nul n’est épargné. On chasse sans difficulté les protestants avec qui l'on entretenait la veille des relations de bon voisinage. Moment noir de la mémoire française, la Saint-Barthélemy, est restée dans les consciences le souvenir vivant d’une tragédie nationale. Assurément une des «dates» de l’histoire de France, et dès l’époque, face à la violence des faits, se développe une historiographie hautement polémique ; l’histoire elle aussi peut être un sport de combat…

L’événement s’impose aux contemporains et à la postérité de façon relativement simple, puisque l’on connaît le déroulement des faits, tout le mystère (pour reprendre le sous-titre) réside dans ses causes. Tout le débat, depuis, tient à l’analyse des responsabilités, aux enchaînements complexes qui ont provoqué le massacre. Chaque famille religieuse a sa propre interprétation, les historiens ont volontiers chargé Catherine de Médicis, mère influente du jeune Charles IX. On a évoqué un complot espagnol, certains ont été convaincus de la volonté royale de débarrasser à tout jamais le royaume de la religion réformée. Y a-t-il eu complot machiavélique de la part du roi, ou engrenage catastrophique ? Les historiens anglo-saxons, et en France Denis Crouzet et Olivier Christin, ont contribué par leurs travaux et les pistes qu’ils ont ouvertes à renouveler profondément les lectures historiographiques classiques. Arlette Jouanna présente avec clarté les différents courants, tient compte des renouvellements, intègre une connaissance maîtrisée des historiens étrangers. Son érudition est sûre, jamais pesante, exposée de façon claire ; il faut d’ailleurs absolument se reporter aux notes malheureusement rejetées en fin de volume. Des annexes, sources et bibliographie, index, complètent l’appareil critique.

L'auteur articule son propos en trois parties : «Fragilité de la concorde», «Glaive de Dieu, glaive du roi», «Déchiffrements et ripostes». Dans la première partie, Arlette Jouanna présente le contexte du royaume de France en 1572 : après trois guerres civiles, les Français peuvent enfin espérer une paix grâce à l’édit de Saint Germain (1570) qui rétablit un équilibre fragile et laisse aux réformés la possibilité de célébrer leur culte, dans des conditions très précises, et restrictives. Le jeune roi Charles IX se fait le garant de cette paix que l’on surnomme «boiteuse et mal assise» (jeu de mots sur les noms et le physique des négociateurs). Le royaume se remet difficilement des épreuves de la guerre, et chaque clan est médiocrement disposé à accepter l’oubli indispensable et prôné par les «Politiques» : parlementaires, humanistes, catholiques (les maréchaux François de Montmorency, Arthur de Cossé) ou protestants (Charles de Téligny, gendre de Coligny…).

Par ailleurs, la défiance règne, et les souvenirs des trahisons et assassinats sont trop amers pour que l’amnésie soit aisément acceptée. Face au roi et à sa mère, les Grands ont leurs réseaux de clientèle (l’un des plus connus est celui des Guise). Enfin il ne faut pas négliger le rôle des prédicateurs populaires parisiens dont les discours violents enflamment les assemblées de fidèles. Aussi pour surmonter les divisions et contraindre à accepter la paix, un projet matrimonial, instrument classique de la diplomatie, est-il conclu : unir Henri de Navarre, protestant, et Marguerite de Valois, sœur du roi. Parallèlement, une ambitieuse politique étrangère se déploie, qui vise à s’allier aux princes protestants pour affaiblir la puissance espagnole dont les possessions encerclent la France. Ce plan semble en passe de réussir lorsque sont célébrées le 18 août, avec le faste dont était capable la cour des Valois, les noces d’Henri et de Marguerite. Une des énigmes de la Saint-Barthélémy est d’ailleurs là : comment est-on passé en quelques jours de la fête au drame ? L’ampleur de la rupture a justifié toutes les hypothèses de complot machiavélique de la part du roi et de sa mère. Le 22 août, un attentat est perpétré contre Coligny, mais celui-ci n’est que blessé et les chefs protestants, hors d’eux, vont violemment en demander raison à Charles IX.

S’ouvre alors la seconde partie du livre : il y a eu non pas une mais bien deux Saint-Barthélémy : le Conseil du roi décide l’exécution des chefs huguenots au soir du 23 août, mais la décision politique s’arrêtait à ceux-ci, en application en somme de la justice royale, offensée par la violence des propos tenus par les proches de Coligny. Exécutions sommaires, complétées par des procès le 27 août. Mais le peuple parisien ne s’en tint pas là et se livra sans retenue, avec une sauvagerie inouïe, au massacre des protestants qu’il traqua pendant plusieurs semaines. Des Italiens furent aussi assassinés par une population déchaînée qui voit dans l’Autre un ennemi, une menace. Massacres, pillages, tous les mécanismes de la terreur se déroulent. Les sources montrent plusieurs groupes en action : les soldats «gardes du roi», la milice bourgeoise. Face à la fureur populaire, le roi est impuissant, et ses appels au calme, bafoués. Il y a là une situation insurrectionnelle, dont les historiens font les prémices des troubles ligueurs. L’autorité monarchique est ébranlée. La réaction des cours européennes est horrifiée (en particulier la reine Elisabeth Ière d’Angleterre), et s’ensuit de la part de la monarchie française une vaste campagne de justification, qui pose le principe de la raison d’Etat. Principe dont les juristes français sauront se souvenir, pour développer ensuite leurs théories sur le pouvoir royal ; on voit ainsi se confirmer une évolution commencée sous François Ier des juristes royaux en faveur de l’absolutisme. Cette campagne de justification permet de voir comment fonctionnent les circuits de l’information dans les années 1570, information facilitée par les progrès de l’imprimerie et les réseaux dont disposent les uns et les autres (diplomatie royale, ambassadeurs, réseaux réformés).

Enfin, dans une troisième partie, plus brève, Arlette Jouanna analyse les différentes réactions à un massacre incompréhensible : «La Saint-Barthélémy a constitué un traumatisme majeur pour tous les Français, protestants ou catholiques ; l’énormité de l’événement a confronté leur intelligence à la difficulté de trouver un sens à des actes hors du commun et d’en penser la sauvagerie» (p.231). Ce sens, on le cherche dans la Bible, la justice de Dieu qui s’impose chez les catholiques, du moins les plus intransigeants dont les discours s’opposent au silence des catholiques modérés. On souligne les signes providentiels. Chez les protestants, on dresse le martyrologe des victimes héroïsées, et on les rapproche volontiers du peuple d’Israël, persécuté mais témoin malgré tout. Sur le plan politique, les lectures sont aussi celles d’une catastrophe. Reste à proposer des conduites à suivre : les réformés (Hotman, Théodore de Bèze…) insistent sur le dérèglement des institutions et dénoncent la tyrannie royale. Des arguments anciens sont repris pour demander un contrôle du pouvoir monarchique. Leurs thèses rencontrent un écho chez des catholiques, les «Malcontents», nobles à la tête de réseaux puissants qui développent la thèse d’une influence nécessaire de la noblesse dans la vie politique pour le «bien public» et trouvent l’appui d’un frère du roi, François d’Alençon.

Lorsque le 30 mai 1574 Charles IX meurt, le récit de ses derniers jours est exploité de façon contraire par chacun des deux camps : les protestants insistant sur sa «rouge mort» (hémorragies) signe de sa damnation certaine, les catholiques le présentant en victime sacrificielle pour le royaume. Ce n’est que 24 ans plus tard, après plusieurs épisodes de guerres civiles, que l’unité du royaume sera retrouvée sous Henri IV et l’édit de Nantes.

Massacre atroce, la Saint-Barthélemy a entraîné une réflexion intense d’où le royaume de France est sorti modifié : une sur-sacralisation royale mais aussi une réflexion sur le droit des sujets, sur la liberté de conscience ; Arlette Jouanna considère que la «réflexion sur le massacre d’août 1572 a ainsi concouru au difficile apprentissage de la tolérance(...)» (p.305). Elle demeure un souvenir vivant dans les mémoires, et dans les dernières lignes du livre Arlette Jouanna montre que, somme toute, les questions posées n’appartiennent pas nécessairement à un passé définitivement révolu : «La résurgence actuelle des tensions intercommunautaires fait renaître un doute sur les freins que la «civilisation» pourrait opposer aux déchaînements de la violence» (p.307).

Un beau livre qui s’adresse à un vaste public, bien au-delà des universitaires et étudiants en histoire, d’autant que le style, limpide, met à la portée du lecteur la grande érudition de l’auteur.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 28/11/2007 )
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