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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Alain Dugrand Frédéric Laurent Willi Münzenberg - Artiste en révolution (1889-1940) Fayard 2008 / 26 € - 170.3 ffr. / 632 pages ISBN : 978-2-213-63172-1 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Claire Aslangul est maître de conférences en civilisation de l'Allemagne contemporaine à l'université Paris Sorbonne (Paris IV). Ses travaux portent sur l'histoire des mouvements artistiques, de la culture populaire et de l'image aux XIXe et XXe siècles. Imprimer
Qui était Willi Münzenberg ? Un personnage hors norme, assez important dans le cours de lhistoire pour que labsence dune biographie en français suscite létonnement. Malgré ses limites, le livre des journalistes Alain Dugrand et Frédéric Laurent vient combler cette lacune. Les auteurs tirent les éléments factuels de leur présentation de travaux récents, car Münzenberg, réputé inclassable, a fait de longues années durant lobjet dun certain ostracisme à la fois de lhistoriographie de lOuest qui ne voyait en lui que «Willi le Rouge» et de lhistoriographie de lEst, embarrassée du tournant anti-stalinien précoce de ce communiste de la première heure. Il est vrai aussi que sa mort mystérieuse et sa situation paradoxale de «milliardaire rouge» rendaient délicate lappréhension dun itinéraire qui, sil est loin dêtre linéaire, est pourtant aussi un excellent révélateur des contradictions du siècle.
Les auteurs nous entraînent sur les traces de Münzenberg depuis sa naissance à Erfurt jusquà son premier exil, en Suisse, «centre du monde» pacifiste pendant la Première Guerre mondiale, où a lieu la rencontre décisive avec Lénine celui-ci confiera la propagande de lInternationale communiste au jeune homme, qui sera cependant moins «linventeur de la communication politique moderne», comme laffirment les auteurs, que celui qui saura créer une synergie entre tous les moyens de communication modernes au service dune idée.
Dans lAllemagne des années 1920, Münzenberg se pose en pilier incontournable de la jeunesse communiste internationale, avant de devenir un grand patron de presse en même temps quil siège au Reichstag comme député du KPD. Après laccession des nazis au pouvoir en 1933, contraint de nouveau à lexil, on le retrouve à Paris. Militant infatigable et auteur dun célèbre Livre brun qui dénonce avec virulence le fascisme, il apparaît aussi comme un précurseur de la lutte anticolonialiste et de lamitié franco-allemande. Sil est soutenu par le Komintern jusquen 1939 en dépit de frictions constantes dans les années 1920 et dune nette prise de distance avec le régime soviétique dès les procès de 1936, la dénonciation de Staline comme «traître» après le pacte germano-soviétique le condamne définitivement à lopprobre de ses anciens compagnons de route ; cette acerbe critique est sans doute à lorigine de ce qui est longtemps passé pour un suicide, avant dêtre identifié presque formellement comme un assassinat.
Louvrage souvre habilement sur le récit dun épisode décisif, avec la réaction de Münzenberg à lincendie du Reichstag en 1933, avant deffectuer un retour en arrière et de revenir sur «la naissance dune conscience» puis lévolution de Münzenberg jusquà sa mort en 1940. Avec force détails, les auteurs sattardent sur les multiples facettes du personnage, son environnement, ses amitiés et inimitiés. Les chapitres sur la République de Weimar, à lépoque où Münzenberg édite les plus grands journaux de gauche, sengage dans la production cinématographique et collabore avec les personnalités les plus remarquables de lépoque (le photomonteur Heartfield pour le Arbeiter Internationale Zeitung, lartiste George Grosz, le cinéaste Eisenstein), ainsi que les passages dédiés à sa collaboration avec Sperber, Koestler et dautres intellectuels critiques, sont particulièrement passionnants.
Le lecteur français avide dinformations sur les évolutions politiques de lAllemagne de la première moitié du 20e siècle se réjouira sans doute de trouver dans ce livre des développements fouillés sur le contexte de laction de Münzenberg ; mais il pourra aussi être agacé des longues digressions sur des personnages plus ou moins annexes, et sur des événements bien connus racontés par le menu sans que cela apparaisse toujours nécessaire. Les auteurs, quoique visiblement fascinés par litinéraire de ce personnage hors du commun, ont en effet lhonnêteté de ne pas faire de Münzenberg lunique protagoniste dune histoire complexe ; la conséquence en est cependant que lon perd parfois le fil du récit pour entrer dans une logique dérudition. De quasi érudition car : ce qui agace aussi, cest limprécision des références de sources, les erreurs de traduction et de transcription des noms allemands (aussi bien des personnages Hugo Hasse pour Haase que des organisations, Jungend Internationale, sic). La bibliographie ne fait pas apparaître la date de parution des ouvrages : alors que les auteurs insistent sur la réception lacunaire, partisane et tardive de Münzenberg, une présentation plus rigoureuse des publications sur le sujet naurait-elle pas valu la peine ? Par ailleurs, hésitant à se situer entre roman et enquête historique, le style abonde de maladresses de ponctuation et de mélanges de niveaux de langue (de largot à la langue la plus châtiée) qui font achopper la lecture.
Il nen reste pas moins que le Münzenberg de Dugrand et Laurent fera date, et lon peut espérer que sa lecture suscitera des vocations pour des travaux dhistoriens encore trop rares en France sur le sujet.
Claire Aslangul ( Mis en ligne le 17/03/2009 ) Imprimer | | |
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