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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Dominique Kalifa Biribi - Les bagnes coloniaux de l'armée française Perrin 2009 / 21 € - 137.55 ffr. / 344 pages ISBN : 978-2-262-02384-3 FORMAT : 14,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Grégory Prémon est agrégé d'histoire-géographie. Imprimer
Biribi nexiste pas : le terme désigne de manière générale et floue les bagnes militaires dAfrique du Nord. Lintérêt de louvrage de Dominique Kalifa est de donner une histoire à ce «non-lieu» dont la mémoire collective a gardé peu de traces.
Peut-on définir Biribi ? «Cest en Afrique», répond Georges Darien dans lun des rares témoignages qui nous soient parvenus. Dominique Kalifa précise, quant à lui, quil sagit des «structures disciplinaires et pénitentiaires de larmée française installées en Afrique du Nord», quil sagisse de «compagnies disciplinaires» fondées au début du XIXe siècle, des prisons militaires, des «ateliers de travaux publics» ou encore mais de manière plus discutable des «Bat dAf» qui accueillent les soldats libérés de Biribi.
Écrire lhistoire de Biribi, cest écrire avec difficulté une triple histoire. Lhistoire de larmée tout dabord ou comment linstitution sest peu à peu adaptée à un monde plus pacifié et plus policé. Cest ensuite faire lhistoire de lAfrique et de la colonisation dont les violences arbitraires de Biribi représentent lune des faces noires. Biribi incarne les deux visages du phénomène colonial : lAfrique est à la fois le lieu de lexclusion et un lieu qui doit être mis en valeur. Enfin, Biribi appartient à lhistoire de la République : quelle conception de lenfermement a-t-elle ? Comment évolue cette notion ? La principale difficulté pour écrire ce récit réside dans la faiblesse des documents disponibles.
En effet, très rares sont les témoignages des hommes. Seuls subsistent les écrits de ceux qui sengagent, des partisans du système aux opposants qui dénoncent la vie en Afrique. Lhistorien utilise notamment le témoignage de Georges Darien, Biribi, Discipline militaire, écrit en 1890 et lenquête dAlbert Londres qui dénonce en 1924 ce système pénitentiaire dans son ouvrage, Dante navait rien vu. Une des grandes qualités de louvrage de Dominique Kalifa est de tirer avec rigueur et prudence la moindre information de sources rares ou parfois sujettes à caution.
Pour construire cette histoire difficile, lhistorien revêt plusieurs costumes. Il fait lhistoire des lieux, rappelant leur oubli puis leur fonctionnement. Quels sont notamment les hommes qui sont envoyés à Biribi ? Ils ont rarement commis des crimes ou des délits. Ce sont pour la plupart des indisciplinés, des fortes têtes ou des condamnés de conseils de guerre. Ils ont pu représenter jusquà 2% des effectifs totaux de larmée française et sont pour la plupart de jeunes urbains dans une France paradoxalement encore majoritairement rurale. Pour raconter leur histoire, Dominique Kalifa devient historien du sensible. Il décrit avec précision les humiliations et les violences que subissent ces hommes dès leur départ de métropole : enchaînés alors quils nont pas commis de crimes -, ils arrivent en Afrique où ils sont logés, là, dans une ancienne maison desclaves, ici, dans danciennes écuries. Le travail, la chaleur, les odeurs, linsuffisance des rations alimentaires, les maladies, les sévices corporels, la promiscuité ainsi que très rapidement les systèmes hiérarchiques qui se mettent en place entre détenus rendent leur vie insupportable. Enfin et cest lun des grands mérites de louvrage -, Dominique Kalifa souvre à lhistoire du genre, sinterrogeant sur labsence des femmes et la place de lhomosexualité dans ce monde composé exclusivement dhommes.
Dénoncé et critiqué, Biribi disparaît lentement. Lenquête dAlbert Londres et lémotion quelle suscite accélèrent la fin du système : en 1928, un nouveau code de justice militaire est adopté et en 1935, il ne reste plus quun seul Bat dAf à Tataouine en Tunisie. Lagonie est toutefois longue. Il faut attendre 1976 pour voir se dissoudre le dernier avatar du monde de Biribi, la «compagnie spéciale des troupes militaires» qui avait été rapatriée en 1962 au fort dAiton en Savoie.
Grégory Prémon ( Mis en ligne le 15/09/2009 ) Imprimer
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