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L’honneur d’un militaire fonctionnaire | | | Christian Vigouroux Georges Picquart, dreyfusard, proscrit, ministre - La justice par l'exactitude Dalloz 2008 / 35 € - 229.25 ffr. / 529 pages ISBN : 978-2-247-08025-0 FORMAT : 14,5cm x 21cm Imprimer
LAffaire Dreyfus a mobilisé lopinion publique en son temps (1894-1906), mais davantage encore lopinion depuis, tant les questions quelle a posées demeurent fondamentales. De multiples livres et articles ont paru sur le capitaine Dreyfus, et les principaux acteurs, sauf un : le colonel Georges Picquart (1854-1914). Certes, quiconque sest un jour intéressé à lAffaire sait quil est celui par qui la Justice a pu être rendue ; les plus érudits se souviennent que, réhabilité en 1906, réintégré dans sa carrière, désormais général, il devient ministre de la Guerre. Mais en général les informations sur ce personnage pourtant essentiel sarrêtent là.
Cest à ce destin particulier que sest intéressé Christian Vigouroux, conseiller dEtat. Théoricien, il est lauteur de Déontologie des fonctions publiques (Dalloz, 2006) qui justement traite de questions qui font de lAffaire Dreyfus une affaire intemporelle : quelle doit être la réaction du fonctionnaire face aux situations diverses quil affronte ? Comment les fonctionnaires peuvent-ils et doivent-ils contribuer à la construction permanente et sans cesse précaire malgré tout - dun Etat de droit ? Christian Vigouroux est également homme de terrain puisquil a été à plusieurs reprises directeur de cabinet de ministères «sensibles» : ministère de lIntérieur (1990/92), Justice (1997/2000), ce qui le conduit à une compréhension intime de Picquart, le militaire mais aussi ladministrateur, le fonctionnaire face à la question du choix entre vérité et justice dune part et raison dEtat dautre part.
On mesure donc lintérêt du biographe pour son personnage, puisque Georges Picquart incarne absolument cet idéal du fonctionnaire, au-dessus des partis, qui fait passer lhonneur de lEtat par la quête rigoureuse de la Justice, au-delà des conséquences personnelles et de lintérêt quil y aurait à se taire et à exercer une cécité prudente. Cest ladmiration quil éprouve pour ce comportement qui a conduit Christian Vigouroux à se faire historien, à dépouiller les archives, à rechercher les documents sur un personnage qui en a laissé peu. Louvrage est divisé en deux parties : «Itinéraires et ruptures» (I), «Images, représentations et portraits» (II), avec cahier dillustrations, bibliographie, chronologie, présentation des principaux noms cités, index.
Le sous-titre du livre (La justice par lexactitude) reflète bien la personnalité de Georges Picquart. Alsacien, orphelin de père à 11 ans, il a été reçu à Saint-Cyr, en étudiant boursier. Après des affectations hors de métropole (lAlgérie, le Tonkin), il entre en 1890 à létat-major du général marquis de Galiffet (lui-même figure originale, haute en couleurs, qui sera ministre de la Guerre pendant le procès de Rennes de 1899). Ses qualités (brillant, cultivé, polyglotte) lui permettent daccéder en 1895 au poste de responsable de la «section des statistiques» (espionnage et contre espionnage militaire) et cest à ce poste quil rencontre son destin
Dirigeant le service secret de lArmée en 1896 (la «section des statistiques», donc), en examinant le dossier, il acquiert la certitude de linnocence de Dreyfus et naura alors de cesse de faire triompher la vérité. Cependant, en 1906, devenu ministre de la Guerre, il ne fera preuve daucune bienveillance particulière à légard des dreyfusards et ne cherchera pas à ce que justice complète leur soit rendue (en revanche il poursuivra de sa rancune ceux qui ont brisé sa carrière). Les conséquences immédiates de son engagement dans le camp dreyfusard sont lourdes : un an demprisonnement, sans jugement, lexil, il est banni de larmée pour 10 ans, et nest pleinement réhabilité quen 1906. Il meurt dune chute de cheval le 19 janvier 1914.
Christian Vigouroux, qui a dépouillé avec soin les archives disponibles, retrace le parcours de ce «marginal dordre», discret, secret, officier de renseignement avant tout, pas nécessairement sympathique, mais qui sut utiliser ses compétences professionnelles contre lavis de sa hiérarchie et au service de ses convictions, ce qui demandait un réel courage. A lépoque, les contemporains ne sy trompèrent pas et Picquart connut une notoriété réelle qui contraste avec loubli dans lequel il est tombé par la suite et dont ce livre le sort aujourdhui. Il suit aussi lhomme après «lAffaire», le ministre de la Guerre, dans une armée en pleine réforme au début du XXe siècle : un bilan contrasté.
Avec ce travail érudit, Christian Vigouroux rend hommage à un inconnu célèbre de lAffaire, que le plus souvent on cite pour loublier aussitôt, et sa démonstration, au-delà de lintérêt historique, incite à sinterroger sur lactualité de lAffaire Dreyfus et des questions quelle pose aux citoyens soucieux de démocratie, hier comme aujourdhui...
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 29/09/2009 ) Imprimer
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