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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Misha Aster Sous la baguette du Reich - Le Philharmonique de Berlin et le national-socialisme Editions Héloïse d’Ormesson 2009 / 25 € - 163.75 ffr. / 400 pages ISBN : 978-2-35087-122-6 FORMAT : 13 x 21 cm
Traduit de lallemand par Philippe Giraudon Imprimer
Le sort de lOrchestre philharmonique de Berlin (OPB) est à tel point lié à la personnalité écrasante de Wilhelm Furtwängler que le musicologue et philosophe Misha Aster a beau lui consacrer une étude spécifique, lattitude de son chef attitré jusquen 1944 est encore au cur de ses analyses. Car ce qui ressort des archives de lOPB et du ministère de la Propagande mais aussi de fonds privés prudemment muets durant le règne de Karajan , cest quaucun des arrangements dont Furtwängler pouvait se prévaloir ne fut arraché à Goebbels, mais consenti et dosé par lui en fonction de leur efficacité. Le titre Sous la baguette du Reich est donc un contresens, car les nazis eurent soin, au contraire, dagir avec doigté dans un domaine où la brutalité nétait pas nécessaire. Goebbels préférait jouer sur linconcevable vanité des chefs dorchestre : elle a considérablement simplifié sa tâche, qui consistait à paver lenfer de bonnes intentions, à travestir «lavant-garde des parachutistes», comme on appelait lOPB dans les pays où il était en tournée, en inoffensif ambassadeur de Beethoven.
Force est de constater que le nouveau statut de Furtwängler, en 1933, coïncide avec lavènement de Hitler. Le chef peut bien présenter à lorchestre sa «responsabilité totale dans les domaines musicaux et les questions de personnel» comme la garantie de la «sauvegarde» de lorchestre, il sagit en réalité «dune rupture très nette avec la tradition de consultation démocratique et dadministration indépendante». Mais là nest pas le souci de «Furt», trop occupé à disputer ses compétences artistiques aux nazis bien heureux de les lui marchander. Sil ne voit pas dun mauvais il la nomination dun commissaire politique au sein de lorchestre, cest que ce «protecteur nazi» pourra le remplacer partout où il ne souhaite pas se mouiller. Pour les mêmes raisons, et non par irrédentisme, Furtwängler multipliera les subterfuges pour éviter de diriger lOPB aux congrès du NSDAP ou pour lanniversaire du Führer, ny réussissant pas toujours. Au point quil faut se demander si le maintien dune poignée de musiciens juifs dans lorchestre nétait pas pour dissuader ce genre de sommations.
Les nazis ne se sétaient pas contentés détatiser, en 1933, une formation autogérée ; ils se soucièrent de ne pas nazifier à outrance cet outil de propagande. «Le IIIe Reich navait pas besoin dun médiocre orchestre nazi de plus». Sans cela, auraient-ils obtenu de Furtwängler cette docilité frondeuse qui servait leurs desseins ? Plutôt saccommoder du maintien occasionnel des uvres de Mahler, Schönberg ou Mendelssohn, que se priver du meilleur orchestre du monde. Furtwängler comprit le parti individuel quil pouvait tirer de tels calculs. Sa spectaculaire démission en 1934, suite à linterdiction de Hindemith, plus quun geste dindignation, était une forme de chantage : en quelques jours, 35 % des abonnés de lOrchestre se récusèrent, tandis quune nuée de chefaillons nazis revendiquaient sa succession ! Un an plus tard, Furtwängler était de retour, débarrassé de ses embarrassantes fonctions officielles, préférant jouer de ses liens personnels avec Goebbels. Cest ainsi quil obtiendra, en 1939, la démission du directeur artistique Benda, soupçonné de favoriser lascension de Karajan.
Car Furtwängler ne voulait devoir aucun de ses privilèges notamment ses faramineux émoluments à une allégeance, mais seulement à son art. Ses généreuses invitations aux virtuoses juifs nétaient que la manifestation de cette conception, non une protestation contre lantisémitisme, quil ignorait. Tous ne tombèrent pas dans le piège, refusant, comme Fritz Kreisler, de servir de pion dans une partie déchecs, ou répliquant, comme Bronislaw Huberman, que lart seul nétait pas en jeu, mais «les conditions les plus élémentaires de notre culture européenne». Voilà précisément à quoi Furtwängler était aveugle, et que létude rigoureuse, documentée et chèrement dépassionnée de Misha Aster résume froidement : «Il ne résistait pas aux directives nazies parce quil avait une prédilection pour les musiciens juifs, mais parce quil rejetait catégoriquement toute ingérence politique dans les affaires artistiques.» Raison pour laquelle un Goebbels jouait de lingérence en virtuose : ce que la politique ne peut obtenir, lart le subtilise.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 01/12/2009 ) Imprimer
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