L'actualité du livre Mardi 16 avril 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Récit d'un incorrigible optimiste
Victor Serge   L'Affaire Toulaev - Un roman révolutionnaire
La Découverte - Zones 2009 /  24 € - 157.2 ffr. / 384 pages
ISBN : 978-2-355-22019-7
FORMAT : 14,2cm x 20,7cm

Préface de Susan Sontag.
Imprimer

On croyait avoir tout lu sur la critique du communisme soviétique, son système totalitaire, son goulag et ses grandes purges. Alors qu'on commémore aujourd'hui les vingts ans de la chute du mur de Berlin, l'attention est une nouvelle fois portée sur les auteurs qui, comme Koestler, Orwell ou plus tard Soljenitsyne ont, très tôt, tenté de dénoncer le régime.

On redécouvre aujourd'hui grâce à la réédition de L'Affaire Toulaev, Victor Serge, écrivain francophone talentueux, et témoin de premier plan de l'entreprise soviétique : né à Bruxelles de parents russes émigrés politiques, il se rendit en Russie peu après la révolution de 1917 où il travailla d'abord activement au service du parti, avant d'en être exclu en 1928, puis déporté au goulag en 1933, et banni définitivement d'URSS en 1936. C'est depuis la Belgique, la France et le Mexique qu'il écrivit ses principaux romans dans lesquels il critique inlassablement le stalinisme et s'interroge sur les raisons du dévoiement d'une révolution en laquelle il ne cessa pour autant jamais de croire. Pourtant lorsqu'il meurt en 1947, c'est dans le plus total dénuement, abandonné par tous ses anciens amis, et laissant une oeuvre imposante, tombée presque immédiatement dans l'oubli.

Dans la longue préface écrite pour la réédition de L'Affaire Toulaev, la romancière américaine Susan Sontag tente d'en expliquer les raisons : rejeté autant par les fidèles du stalinisme, qui pendant tout le temps que dura la guerre froide refusèrent d'accorder le moindre crédit à toute critique objective du système, par les trotskystes qui lui reprochèrent son refus d'entrer dans la Quatrième Internationale, et par les anti-communistes qui ne pouvaient lui pardonner d'être resté jusqu'au bout révolutionnaire, Victor Serge est mort seul, pauvre et inconnu du grand public, malgré une oeuvre de premier plan, parmi laquelle ce petit bijou que constitue L'Affaire Toulaev.

Dans ce que l'auteur prévient n'être qu'une fiction, «toute ressemblance avec des personnages existant, etc.», Victor Serge raconte la façon dont Staline - qui n'apparaît jamais autrement que sous l'appellation «le chef» - réussit à se débarrasser un par un de ses anciens collaborateurs, les premiers chefs de la révolution, en réussissant à leur faire avouer des crimes qu'ils n'avaient pas commis. Bien qu'il s'agisse réellement d'une fiction - Victor Serge prend soin de situer son action en 1939, alors que les grandes purges ont historiquement déjà eu lieu, entre 1936 et 1938 - l'auteur parvient à dresser un tableau quasi exhaustif de la société soviétique de la fin des années trente, en centrant son intrigue sur une dizaine de personnages, impliqués de façons différentes dans le régime, et éliminés les uns après les autres.

Le roman débute par le meurtre de Toulaev, membre éminent du Comité Central, par Kostia, petit employé mécontent du régime comme il en existait alors des milliers. Parce qu'il vient de se faire offrir un révolver, alors qu'il se promène dans la rue l'arme en poche, Kostia croise Toulaev, connu pour ses déportations de masse et ses purges de l'université, et sur un coup de tête, l'assassine. Un acte presque involontaire, mais qui va servir de prétexte au déchaînement d'une violence terrible contre ceux accusés d'avoir participé à ce qui ne peut être qu'un complot.

L'auteur nous conte alors la descente aux enfers de plusieurs vétérans de la révolution, non seulement innocents du crime dont ils sont accusés par le procureur Ratchevsky et sa comparse Zvéréva, mais pouvant tous être considérés comme des fidèles sincères et loyaux du régime, aux excès duquel ils ont par ailleurs pour la plupart participé. Mais à la différence de Koestler qui dans Le Zéro et l'infini mettait le narrateur dans la peau d'un unique accusé, Roubachov - dans lequel on a d'ailleurs pu reconnaître la figure de Boukharine -, Victor Serge nous offre un roman polyphonique où l'on découvre la grande variété des personnalités touchées par les grandes purges staliniennes ainsi que les différents moyens par lesquels ces hommes furent poussés aux aveux, depuis l'emploi de la rumeur insidieuse jusqu'aux tortures physiques et morales...

Qu'est-ce qui rapproche en effet des hommes aussi différents qu'Erchov, haut commissaire chargé de l'enquête avant d'en être dé-saisi, Roublev, un des vieux théoriciens du régime déjà écarté du pouvoir, Makeev, le fils de paysans un peu rustre devenu gouverneur de Kourgansk, Kondratiev, représentant de l'URSS en Espagne alors en pleine guerre civile, ou encore le vieux Ryjik, déporté depuis belle lurette en Sibérie pour ses sympathies trotskystes ? A peu près rien, sinon qu'ils ont tous participé aux débuts de la Révolution et été témoins de ses glissements successifs vers une dictature qui n'a plus grand chose à voir avec le projet bolchévique initial. Mis à part Ryjik, déjà déporté au goulag et n'ayant comme seul tort celui d'être encore vivant, aucun des autres n'avait pourtant manifesté la moindre velléité d'opposition. A part peut-être, chacun de façon fugitive ou alors très discrète, l'expression d'un simple doute, suffisant pour faire d'eux des hommes à abattre.

Victor Serge, tout en conservant une réelle distance vis-à-vis de ses personnages, parvient à leur donner, parfois en peu de pages, une consistance telle que chacun pourrait faire l'objet d'un roman à part entière. En décrivant la mécanique infernale par laquelle ces hommes voient se retourner contre eux les armes dont ils se sont jadis impitoyablement servis pour défendre le régime, Victor Serge démontre, comme dans une tragédie antique, comment la révolution mène inévitablement au sacrifice des autres, puis de soi-même.

L'Affaire Toulaev, malgré sa noirceur, n'est pourtant pas totalement dépourvu d'optimisme. Car dans ce roman impitoyable pour les hommes de pouvoir, victimes de l'absurdité d'un système qu'ils ont eux-mêmes contribué à mettre en place, ce sont les humbles qui ont la part belle : dans un épilogue empreint d'une volontaire naïveté - mais bien pardonnable, car salutaire -, où l'on voit Kostia, le seul vrai coupable du crime, mais aussi le seul idéologiquement pur, s'en sortir, Victor Serge exprime l'espoir dont il ne s'est jusqu'à sa mort jamais totalement départi.


Natacha Milkoff
( Mis en ligne le 01/12/2009 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Mémoires d’un révolutionnaire
       de Victor Serge
  • Ce que tout révolutionnaire doit savoir sur la répression
       de Victor Serge
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd