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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Didier Epelbaum Obéir - Les déshonneurs du capitaine Vieux Drancy - 1941-1944 Stock - Les essais 2009 / 20.99 € - 137.48 ffr. / 329 pages ISBN : 978-2-234-06136-1 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
Lauteur du compte rendu : Monika Boekholt est psychologue, psychothérapeute, ancien professeur des universités en psychologie clinique et psychopathologie à Paris 13 (publications réunies pour HDR à Paris 5 sous le titre «normalités et pathologies»). Elle a participé au film de Frédéric Goldbronn La Maternité dElne dont le DVD paru en 2007 est commenté par Denis Peschanski. Imprimer
Obéir sinscrit dans la veine didactique des Essais documents publiés chez Stock. Ce titre, sixième du même auteur, consacré à la Seconde Guerre mondiale, résulte dun important travail de recherche rendu accessible à un large public. Didier Epelbaum est historien : sa thèse dhistoire soutenue en 1998 à lEHESS, «Les Enfants de papier. L'intégration des juifs polonais immigrés en France, 1919-1939», a été publiée chez Grasset en 2002. En tant que journaliste et enseignant, il sait rendre passionnantes les plus sombres pages de lhistoire française et interroger le socle sur lequel certaines résurgences restent à tout moment envisageables : «Pourquoi la guerre ?» Souvenons-nous de cette question que posait déjà Freud à Einstein en 1932*.
Obéir retrace la France des camps et de la collaboration, obligée ou consentie, de ceux, représentants de la loi, dont la mission était de faire régner lordre édicté par Vichy. Sans hésitation, il faut lire Obéir et le faire lire aux futurs candidats bacheliers. En introduisant dès son titre lantinomie entre «obéissance» et «déshonneurs», louvrage engage de plus une réflexion morale, philosophique et politique indispensable à lindividu citoyen au moment où souvre le débat controversé sur lidentité nationale. Grâce à son découpage clair et une écriture vive et limpide, largument construit à partir darides documents darchives se déroule comme une intrigue à suspense où lusage privilégié du présent de lindicatif produit de brefs moments de vertige entre la narration du passé et sa potentielle actualité. Toutes les sources sont précisées en notes de bas de page, auxquelles le lecteur peut se reporter à son rythme. Figurent en outre des références bibliographiques générales, raisonnées et très accessibles.
Au risque de caricaturer un peu le propos, nous retiendrons trois grands axes.
- Obéir offre dabord un regard aigu sur la réalité concentrationnaire du camp de Drancy vers lequel, entre 1941 et 1944, convergèrent 67.000 personnes décrétées juives, étrangères et françaises, de tous âges et de toutes conditions sociales, promises à la déportation et à la mort sur ordre de Vichy. Plusieurs centaines dentre elles (dont Max Jacob en mars 1944*) y moururent, affamées, malades, battues, suicidées
sans attendre le «départ» vers lAllemagne ou la Pologne. Enfants, vieillards, artisans, médecins, avocats, magistrats
tous et toutes subirent le même traitement. Il ny aura jamais suffisamment décrits, de monuments commémoratifs ou dimages pour décrire la violence et la finalité discriminatoire et éliminatoire du camp de Drancy. Aucun autre camp en Ile de France na connu le même statut ni la même ampleur pendant quatre années. À fortiori il diffère des camps sis en zone «libre». (Cf Anne Boitel *Le Camp de Rivesaltes (1941-1942). Du centre dhébergement au Drancy de la zone libre, P.U.P., 2001). Aujourdhui*, en mémoire de «Drancy la Juive» devenue banale cité à loyers modérés, se donnent à voir un monument érigé à lentrée en 1976 et la création dun Conservatoire historique qui accueille chaque année les enfants des écoles accompagnés de leur enseignant. Mais les monuments seuls ne parlent pas. Rien ne remplace le témoignage des hommes. Lorsque Maurice Rajfus (filmé par Frédéric Goldbronn dans LAn prochain la révolution, DVD à paraitre*) raconte son histoire familiale à Drancy devant une classe de CM2, il y a un moment extrêmement émouvant, pas tant dans le récit lui-même qui ne peut laisser indifférent, mais dans la gravité silencieuse des visages denfants avant que fusent leurs multiples questions. La narration, argumentée point par point, documents à lappui, du quotidien des personnes internées à «Drancy» constitue un point fort de louvrage de D. Epelbaum.
- Ce camp a été établi à la hâte dans la Cité inachevée de la Muette, alors affectée à une caserne de gendarmes. Du jour au lendemain, ces derniers se sont ainsi vus transformés en gardiens des lieux et des personnes et ont accompli leur mission journalière de surveillance et de gestion suivant des modalités diverses. Toujours daprès les documents darchives, notamment puisés auprès de la Justice militaire (AJM) et de la gendarmerie nationale (AGN), il apparaît que certains gendarmes, comme le capitaine Marcellin Vieux, ont obéi aux ordres avec un zèle dépassant toute espérance. Lauteur décrit en fait des facettes variables de la personnalité de ce militaire peu valorisé par sa hiérarchie : courtois et médiocrement «normal» en 1941, il fait preuve dune violence extrême, arbitrairement distribuée, en 1942 ; il est alors débordé par les arrivées massives de personnes transférées de la zone «libre» et reçoit lordre daccélérer le nombre de convois vers les camps nazis. À la crainte de faillir à lexigence des chiffres et dêtre mal noté sajoute le spectre de la déportation brandi tant auprès des personnes internées que des gendarmes. En contre exemple des agissements de M. Vieux, sont saluées la dignité de Robert Richard, un capitaine du même âge placé dans les mêmes conditions ou encore la figure charismatique de Camille Mathieu dont la désobéissance a sauvé grand nombre de vies, au risque de la sienne propre. Entre ces extrêmes, brutalité et abnégation, existent aussi toutes sortes de modalités intermédiaires : vols, trafics et arrangements divers en échange davantages, organisés en véritables spoliations à lapproche annoncée des déportations. Sur cette centration originale repose le deuxième point fort de cet ouvrage.
Le troisième point traverse lensemble de lécrit et revient sous forme de question finale inachevée : comment lindividu accède-t-il à ce que lauteur nomme processus de «nazification» ? Comment comprendre quun individu adulte perde son sens moral auparavant acquis ? À lévidence, les particularités physiques ou intellectuelles des gendarmes (définies par leurs supérieurs hiérarchiques) ne suffisent pas pour rendre compte de cheminements aussi différents. Lauteur cite quelques études antérieures, historiques (C. Browning, 1994), psychanalytiques (C. Barrois, 1993) et littéraires (J. Littell, 2006) dont les apports spécifiques auraient mérité davantage de développement et dargumentation. Leur conclusion revient à dire que nimporte quel individu «normal», placé dans des circonstances comparables, est susceptible de reproduire les mêmes actes de cruauté : chez les gendarmes, comme chez les criminels, de guerre ou dailleurs, il ny a pas de profil psychopathologique type. Ajoutons que les conclusions dexpertises psychologiques auprès des tribunaux confirment ce point de vue. Certains tortionnaires de Drancy se sont recyclés avec talent dans la Résistance. Ce qui explique peut-être les verdicts étonnamment cléments émis lors des procès dépuration. Lirrésistible attraction vers linfamie, vers le Mal absolu nest pas réservée à lhitlérisme, ni à un régime politique précis ou encore à une époque. Cest ce que montre Didier Epelbaum en 2005 : Pas un mot, pas une ligne ? 1944-1994 : des camps de la mort au génocide rwandais. Chaque régime a toujours su secréter sa propre infamie, fut-ce à linverse de ses objectifs initiaux. Quels que soient les époques et les lieux, lhumain est confronté aux paradoxes insolubles des exigences de groupe, aux mécanismes de pouvoir et de domination-soumission, à lintolérance aux petites différences visibles ethniques ou religieuses. Pires encore sont les différences soupçonnées, qui font de lautre un étranger, indésirable et suspect.
Alors à nouveau simpose la terrifiante illusion pressentie au début de cette lecture : et si hier était aujourdhui ?
N.B. : Les notes et références signalées par un astérisque ne figurent pas dans louvrage analysé.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 05/01/2010 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Lettres de Drancy de Antoine Sabbagh , collectif Lettres d'un interné au camp de Pithiviers de Kalma Apfelbaum | | |
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