|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Jean-Claude Caron Frères de sang - La guerre civile en France au XIXe siècle Champ Vallon - La Chose publique 2009 / 25 € - 163.75 ffr. / 305 pages ISBN : 978-2-87673-514-9 FORMAT : 14cm x 22cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé, Pierre Triomphe vient de soutenir une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines dune mémoire nationale». Il a publié LEurope de François Guizot (Privat, 2002). Imprimer
A partir de 1789, lhexagone apparaît comme la terre classique des combats fratricides. Dans un pays déchiré par des révolutions incessantes car tout régime voit sa légitimité contestée par une fraction significative de sa population, on distingue traditionnellement deux France, deux peuples que tout oppose. Ils se seraient livrés à une lutte incessante si ce nest jusquà nos jours encore que du moins jusquà lenracinement de la République vers les années 1900.
Ce sont ces représentations de la guerre civile franco-française, véhiculées tant par les contemporains que par les historiens, que Jean-Claude Caron nous invite à revisiter. Lauteur, spécialiste reconnu du XIXe siècle, poursuit ainsi son exploration des violences politiques, marquée par des ouvrages consacrés à la révolte antifiscale de 1841 (LEté rouge) ou aux incendies criminels (Les Feux de la discorde). La réflexion savère ici beaucoup plus large. La lutte fratricide étant perçue comme contre-nature, ce qui la différencie fortement des expressions pourtant voisines de Révolution ou de luttes des classes, sa seule évocation amène à repenser le lien social dans son ensemble et a fortiori lorganisation politique. La réflexion sur la guerre civile savère ainsi particulièrement porteuse de sens.
Louvrage sintéresse aux discours que tiennent a posteriori les sciences humaines et sociales, comme à ceux formulés dans la chaleur des luttes par les acteurs politiques du XIXe siècle. Dans un premier temps, Jean-Claude Caron sefforce de préciser lusage de la notion de «guerre civile», nhésitant pas à convoquer aussi bien lhistoire antique que les exemples récents tirés de lhistoire tragique du XXe siècle, ce qui lamène par exemple à sintéresser au concept de «guerre civile européenne» formulé notamment par Enzo Traverso. Analysant et synthétisant clairement de multiples uvres philosophiques (depuis la République de Platon
), politiques, littéraires, anthropologiques, juridiques et bien évidemment historiques, lauteur montre bien que le flou et les contradictions qui entourent la définition de la «guerre civile» lui permettent en même temps de nourrir toutes sortes didéologies.
Dans un second temps, louvrage sintéresse plus précisément aux mécanismes discursifs de la guerre civile au cours du XIXe siècle. Le déclenchement, le déroulement et lissue du conflit sont étroitement corrélés au pouvoir des mots, et Jean-Claude Caron nous invite à réfléchir sur les rapports entre violence verbale et violence physique : alors quà certains moments la première peut servir de substitut à la seconde, en dautres occasions, elle lannonce, ou encore la prolonge, alors que, lorsque la guerre civile se déchaîne réellement, les deux violences se confondent puisquon arrive au moment critique où, comme laffirme lauteur, «le mot est un acte, car le discours est suivi deffets immédiats».
Si louvrage consacre une attention particulière aux répressions de linsurrection ouvrière de 1848 et de la Commune en 1871, les seuls conflits à faire lobjet de chapitres spécifiques, lauteur ne néglige pas pour autant dautres moments forts, comme la Terreur blanche de 1815, les révolutions de 1830 et de février 1848, divers soulèvements avortés, comme en juin 1832, linsurrection républicaine à loccasion des funérailles du général Lamarque.
Même si lon peut regretter labsence dindex et une iconographie qui se borne à la saisissante caricature contre-révolutionnaire de la couverture, les notes abondantes et une riche bibliographie à jour font de cet ouvrage une référence précieuse, dont la lecture savère stimulante. Elle rappelle que lavènement républicain nest pas seulement lié à lespoir de lendemains qui chantent mais aussi à la crainte de la destruction sociale dans un bain de sang sans fin, à partir du moment où léradication totale de ladversaire savère impossible.
Pierre Triomphe ( Mis en ligne le 16/02/2010 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Campagnes dans les sociétés européennes de Frédéric Chauvaud , Jean-Claude Caron , Collectif | | |
|
|
|
|