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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Idées neuves pour un vieux débat
Peter Godman   Hitler et le Vatican
Perrin 2010 /  23 € - 150.65 ffr. / 368 pages
ISBN : 978-2-262-02723-0
FORMAT : 21,2cm x 14,1cm

Traduction de Cécile Deniard

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

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Peut-on béatifier Pie XII ? La question peut sembler marginale à l’heure des crises financières et des guerres diverses, mais elle agite pourtant, de manière périodique, le Landernau mémoriel : constatons d’emblée que posée dans l’immédiat après guerre, elle aurait probablement vu l’affirmative s’imposer aisément… Mais depuis, le doute s’est installé, du fait de l’ombre portée du nazisme. Sur la question plus large des rapports entre le Saint-Siège et le nazisme, il semble en effet que le débat ne soit jamais clos, en dépit des ouvrages, nombreux, des archives publiées (notamment le pontificat de Pie XI, mais l’ouverture complète du fonds Pie XII aux archives vaticanes attend encore), des colloques, des documentaires, articles… La fameuse pièce de Rolf Hochluth, Le Vicaire qui, dans un coup de tonnerre, dénonçait en 1963 les «silences de Pie XII» et une certaine sympathie pour l’hitlérisme, marque durablement ce débat, en dépit de son statut d’œuvre de fiction… Tout simplement parce qu'elle met le doigt sur une question fondamentale, en plaçant sur le terrain de la morale chrétienne et de l’éthique l’examen de la politique suivie par la papauté à l’égard du nazisme. Une question certes légitime, mais un débat trop souvent obscurci par des considérations idéologiques, et qu’il est bon de recentrer. C’est pour répondre à cette question, et examiner de manière plus large la position pontificale vis-à-vis des totalitarismes, que le professeur Peter Godman, de l’université de Rome, publie un ouvrage à la fois très accessible et très dense : Hitler et le Vatican.

Un premier constat s’impose. Le titre s’avère discutable dans l’ordre des termes choisi : il ne s’agit pas d’une histoire de la politique nazie envers le Vatican (même si celle-ci est évoquée, via notamment le très nébuleux ministère des affaires ecclésiastiques de Hans Kerrl, créé en 1935), ni même d’une réflexion sur l’attitude du Saint-Siège au temps de la Shoah mais bien plutôt de celle du Vatican, aux temps de Pie XI et de Pie XII, face au nazisme en tant que doctrine (l’ouvrage n’aborde pas la question de la guerre et du génocide, ce qui est bien sûr regrettable). A cet égard, l’ouvrage s’insère donc dans une histoire plus large de l’Eglise. Une histoire large et un grand débat historiographique ; en invoquant, pour les contester, deux autres auteurs, Daniel J. Goldhagen et John Cornwell, l’auteur délivre déjà une première leçon précieuse, mais trop souvent oubliée : loin d’être une institution monolithique, un fantasme totalitaire où règnerait un consensus absolu, le Vatican est au contraire une société faite de nuances, où le pape figure autant un arbitre (entre courants, entre clans, entre groupes nationaux, entre dicastères… ce que démontre le parcours de Mgr Hudal, «l’évêque brun») qu’un repère intellectuel. Revenant sur l’ouvrage, très critique, publié naguère par J. Cornwell (Le Pape et Hitler), Peter Godman propose une réflexion déjà plus sereine, exempte du sensationnalisme naïf de cet auteur, et plus méthodique, plus au fait des réalités du gouvernement pontifical.

Il s’agit donc, pour l’historien, de se pencher sur ce long face-à-face qui, de 1933 jusqu’à la guerre, fait du pape l’un des rares chefs d’Etat neutre aux prises, directement, avec le totalitarisme, du fait de sa mission spirituelle. Tout l’intérêt de la démonstration développée par Peter Godman réside dans l’analyse méticuleuse du dossier, à l’aune des sources disponibles (et nombreuses : archives diplomatiques pontificales, archives récemment ouvertes du Saint Office, archives de la secrétairerie d’Etat ainsi que de la Congrégation des Affaires Ecclésiastiques extraordinaires – l’équivalent d’un ministère des affaires étrangères). Un premier point de méthode : l’historien, revenant à Pie XI et à sa curie, montre que la question est posée dès 1933, et dans divers cercles et congrégations. Il éclaire, en bon historien, les modes d’information de la papauté, revenant notamment sur les nonces (et posant la question de leur personnalité) et leurs rapports, examinant les discours sur le nazisme, sur la situation des catholiques et de l’épiscopat allemand, établissant en somme une histoire des représentations de l’Allemagne nazie du point de vue de l’Eglise. Il ne s’agit à cet égard pas d’une apologie et l’auteur se montre critique à l’égard d’une papauté qui, en étouffant toute autonomie au sein des Eglises nationales, pouvait difficilement par la suite leur demander de réagir face à Hitler. Du reste, la question la plus intéressante est bien évidemment celle du rapport au judaïsme et aux juifs : sans fermer les yeux sur l’antijudaïsme réel de certains cercles curiaux, l’auteur montre bien qu’il existe un vrai débat au Vatican (qui porte notamment sur des rituels perçus comme dépassés par certains prélats plus libéraux). Il éclaire de la sorte les ambiguïtés de la position pontificale – qui se préoccupe tout d’abord de la situation des catholiques et des risques encourus par la communauté : une position de réticence (à contester un gouvernement) qui trouvera son pendant dans les silences de Pie XII. Car tout en se montrant sévère avec les deux papes, Peter Godman sait pleinement replacer leur action dans un contexte et une culture spécifique, qui va se heurter au nazisme. Un dialogue de sourds.

Par ailleurs, revenant sur l’accusation traditionnelle, à l’encontre de Pie XII, d’une sympathie pour le nazisme par anticommunisme, Peter Godman reprend le dossier, désormais connu (mais encore fantasmé) de «l’encyclique cachée» et de la condamnation du nazisme comme néopaganisme – l’Eglise s’attaquant logiquement au nazisme sur le terrain qui lui est propre, le spirituel. C’est l’occasion d’une plongée dans les affaires du Saint Office et des débats qui s’y tinrent. Par contre, il suit également, en examinant les divers projets, le destin contrarié de la condamnation mûrie, mais jamais lancée, de l’antisémitisme, une «politique de commodité» selon le cardinal Suhard (en 1940). Une fois encore, la mesure de l’auteur est à saluer : soulignant le juridisme excessif d’un Pie XII, et sa pusillanimité, Peter Godman propose une lecture nuancée de l’affaire… au moins jusqu’à la guerre.

Nanti de quatre grandes annexes reprenant les projets de condamnation du nazisme comme paganisme (de 1936 et 1937), la comparaison entre lesdits projets et l’encyclique Mit brennender sorge (1937) ainsi qu’un instruction pontificale consacrée aux «dogmes ridicules», l’ouvrage propose déjà au lecteur non spécialiste quelques textes majeurs pour saisir l’ampleur et la complexité du débat. Ces textes n’étaient pas inconnus ou inaccessibles, mais livrés ainsi, ils permettent au lecteur curieux de juger par lui-même.

On appréciera également une autre chose, un détail, mais qui a du sens dans ce débat : loin de présenter son travail, à l’instar d’un John Cornwell, comme une suite de découvertes exceptionnelles dans des archives «secrètes» (le syndrome Dan Brown ?), Peter Godman administre une saine leçon de méthode historique, à partir d’archives ouvertes et consultables. L’ouvrage n’est donc pas révolutionnaire, mais reprend méticuleusement un dossier connu et, sobrement, en éclaire les étapes. Si «l’encyclique cachée» est condamnée à faire encore recette, au moins dispose-t-on d’une réflexion solide, équilibrée, selon ce modèle défini il y a longtemps par Tacite, d’une histoire écrite «sans amour et sans haine».


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 25/05/2010 )
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