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Parole de gloire
Corinne Legoy   L'Enthousiasme désenchanté - Eloge du pouvoir sous la Restauration
Société des Etudes Robespierristes 2011 /  25 € - 163.75 ffr. / 250 pages
ISBN : 978-2-908327-70-0
FORMAT : 15,5cm x 24cm

Avec un CD-Rom

Alain Corbin (Préfacier)

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).

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Alain Corbin, grand historien du sensible, auteur de la belle préface qui introduit au livre, a entraîné à sa suite toute une génération de jeunes chercheurs qui nous conduisent à reconsidérer sous des angles neufs les champs de l’histoire classique, à revisiter les périodes - et en particulier un XIXe siècle bien délaissé, surtout pour sa première partie -, et nous ouvrent des perspectives neuves. Corinne Legoy fait partie de ces chercheurs à l’oeil curieux. Elle écrit dans une très belle langue, qui augmente le plaisir de lecture.

Un des champs très actifs aujourd’hui de l’histoire des représentations est l’analyse des émotions en politique. Récemment Emmanuel Fureix a publié un superbe travail sur la France des larmes, et dans un autre registre Thomas Bouchet a étudié l’injure en politique. Ici c’est l’éloge qui fait l’objet des recherches de Corinne Legoy. Éloge, «parole de gloire» : le sujet est inattendu à la fois parce que nous avons tendance à refuser toute spontanéité à cette initiative et donc à lui dénier une large partie de son intérêt ; mais aussi parce qu’au début d’un XXIe siècle vacciné par les différentes expériences politiques du siècle précédent, d’emblée le genre de l’éloge semble méprisable tant il parait être, par définition même, au service du politique. On est ainsi au cœur des régimes d’historicité analysés par François Hartog. De surcroît les genres littéraires utilisés (poésie et autres) ne sont plus guère appréciés.

Or au début du XIXe siècle, dans cette période de la Restauration que redécouvrent aujourd’hui les historiens à la suite de Bertier de Sauvigny, d’Alain Corbin, d’Emmanuel Waresquiel, l’éloge est au contraire un genre noble, pleinement assumé par ses auteurs dont beaucoup agissent librement, sans être convoqués par le pouvoir ni nécessairement en attendre une quelconque reconnaissance sous une forme ou une autre. L’apologie d’un pouvoir nouvellement «restauré» s’accompagne de l’exécration des périodes récentes (Révolution et Empire) et de l’exaltation de temps historiques soigneusement choisis, et reconstruit pour composer une histoire mythique des origines. En franchissant allègrement les sacro-saintes frontières disciplinaires, entre histoire et littérature, Corinne Legoy analyse en tant que tel ce genre littéraire qui tient à la fois du dithyrambe et de l’imprécation, cette littérature «encomiastique» (pour lui donner son nom savant) ; elle montre de façon lumineuse comment et pourquoi la littérature sert ici le politique, et comment l’historien y trouve son champ d’analyse.

Le thuriféraire est absolument convaincu (ou du moins espère fortement) qu’il existe une efficacité de l’écriture - au sens fort du terme : il invoque, il convoque, il annonce, il fonde les espoirs les plus grands sur ce régime et espère un «avenir pacifié». Or le bilan est terrible : la Restauration s’étant abimée dans les trois glorieuses, n’a laissé, pour le plus grand nombre, ni histoire ni regrets ; ses défenseurs, isolés, n’ont intéressé personne, car, en règle générale, l’échec mobilise peu.

Aussi est-ce à une tâche fort difficile que s’est attelée Corinne Legoy : retrouver un temps perdu, des auteurs oubliés, voire le plus souvent méprisés, comprendre le sens de leur démarche, leur redonner en quelque sorte honneur et dignité. L’ouvrage a d’abord été une thèse de doctorat soutenue en 2004, avant d’être publiée en version allégée (avec un CD d’annexes) sous le titre : L'Enthousiasme désenchanté. La Société des Études robespierristes qui publie ce beau travail, récompensé par le prix Albert Mathiez, mérite d’être mentionnée, à un moment où l’édition savante survit courageusement dans un climat hostile. «Car, disons le d’emblée, cette histoire de princes et de poètes est celle d’une double mort sous le sceau du désenchantement : mort d’un régime d’une part, cette Restauration à l’ombre de la Révolution ; mort d’un genre d’autre part, cette parole de gloire qui ne devait survivre ni à la révolution romantique, ni aux monarchies censitaires» (p.14).

On suit l’évolution de l’éloge sous la Restauration à travers trois parties : ''Le ministère de la gloire'', ''Les mots ambigus de l’éloge'', ''L’apogée crépusculaire d’une pratique''. La première partie recense le corpus de 995 titres (plus de 2000 textes) et de 583 auteurs, analyse la variété des formes, démontre la richesse de la poésie de célébration. Elle dresse un portrait de ces thuriféraires qui appartiennent à des générations différentes : les plus âgés sont nés entre 1730 et 1769 (25% des auteurs), les plus jeunes entre 1790 et 1800 (33%), sont souvent provinciaux, n’ont que pour peu d’entre eux suivi des études supérieures, le plus souvent en droit, appartiennent à des milieux sociaux variés (noblesse, certes, mais plutôt diverses bourgeoisies dans la grande majorité). Ils écrivent librement, par choix, ne répondent pas au cliché attendu du courtisan. Il y a de tout dans cette littérature : de la louange et des invectives réservées aux ennemis du pouvoir.

La seconde partie met en évidence un discours général plus complexe et plus nuancé qu’on ne le pense volontiers. Certes, les thuriféraires se livrent à une lecture édifiante de l’histoire, mais ils construisent une mémoire qui leur est propre : l’événement qu’ils célèbrent, par exemple l’assassinat du duc de Berry, est aussi invariablement mis en perspective avec la Révolution française qui fait figure de référence obligée. «A tout événement nouveau, la parole de gloire inflige donc une «réduction mimétique» à la Révolution française, moment obsessionnel des éloges, conditionnant les représentations de toutes les crises politiques de 1815 à 1830» (p.88). Quant à la Révolution elle-même, elle est souvent diluée dans le souvenir des guerres de religion… Pour les événements heureux, le même mécanisme est à l’œuvre : le mariage du duc de Berry rappelle le retour des Bourbons. Présent et passé se répondent pour convoquer un avenir qui doit être heureux. Le discours de célébration se veut pédagogie à l’usage de la France post-révolutionnaire, tandis que des figures idéales du roi sont proposées : «Plus que geste d’assentiment au pouvoir, la parole de gloire se livre ici comme une écriture de combat au service de la recomposition d’un nouvel ordre politico-social, jamais advenu sous la Restauration» (p.172).

Pourtant l’éloge n’eut qu’un temps… et Corinne Legoy, dans une brève troisième partie, en retrace «l’apogée crépusculaire». Elle étudie les conditions de la réception, peu aisée à repérer. Le premier XIXe siècle voit la vogue de la poésie, le goût des lectures en petite société ; les sociétés chantantes, la presse diffusent volontiers les œuvres poétiques, des cérémonies se terminent immanquablement par la déclamation d’éloges, les banquets donnés à l’occasion des grands fêtes officielles par exemple. La poésie politique trouve un cadre d’expression dans les académies, les cercles royalistes, mais il reste toutefois difficile d’évaluer précisément le lectorat concerné. Reste aussi la question de ce qu’en retirent les thuriféraires : titulaires pour les uns de pensions littéraires, parfois de gratifications supplémentaires, par exemple lors du sacre de Charles X, nombre d’entre eux vivent cependant difficilement. Aussi voit-on progressivement s’éteindre cette forme d’homme de lettres, disqualifiée par l’évolution des temps et des modes : «Dernier mouvement, enfin, qui contribue à discréditer la pratique thuriféraire : l’émergence d’une figure neuve de l’écrivain, indépendante du pouvoir et tributaire de son lectorat, s’arrogeant une tribune et rompant son dialogue ancien avec les princes. Le long procès de l’éloge dont nous sommes les héritiers, est à l’évidence, en effet, l’enfant d’une révolution romantique, qui a vu se modifier les conditions du marché du livre et a, surtout, renouvelé en profondeur tout à la fois le métier d’auteur, les représentations et les postures de l’écrivain» (p.222). Expression d’un moment particulier, la parole de gloire est alors écriture spontanée, écriture de l'urgence, et ne sera plus jamais la même ensuite, pas plus que les lettrés qui l’ont portée. Corinne Legoy constate sur ce point : «le sacre de l’écrivain marque en effet son arrachement à la sphère du pouvoir et, par conséquent, la rupture du dialogue entre les princes et les poètes» (p.227).

Un livre qui s’adresse à un public d’universitaires, historiens ou littéraires, mais aussi à ceux qu’intéresse la Restauration, période très méconnue du XIXe siècle.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 27/09/2011 )
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