| Jérôme Grondeux Socialisme : la fin d'une histoire ? Payot - Histoire 2012 / 20 € - 131 ffr. / 233 pages ISBN : 978-2-228-90739-2 FORMAT : 14cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Une histoire du socialisme à quelques encablures des élections présidentielles, on pourrait penser quil sagit là dun ouvrage partisan
mais le bon historien, celui qui juge «sans amour et sans haine» comme disait Tacite, sait prendre une distance nécessaire avec son objet. Grand connaisseur du dix neuvième siècle et des religions du politique, Jérôme Grondeux, maître de conférences à luniversité Paris Sorbonne, livre, avec cet essai longuement mûri, une réflexion qui dépasse le simple moment politique et revient aux fondements du politique, à savoir la capacité à forger une vision et à latteindre. Il ne sagit pas seulement de réenchanter la politique ou de redonner à la gauche un coup de peinture intellectuelle, mais plus simplement, de lui restituer ses lettres de change dans une société post moderne ou post idéologique
Faire lhistoire du socialisme, cest déjà sinsérer dans une historiographie importante, celle du politique et même des idées politiques ou, de manière plus large car les idées appellent des débats, des pratiques, des sociabilités, des réseaux, etc
-, lhistoire des courants politiques. Une histoire qui ne se limite donc pas à celle dun parti, mais examine plutôt les sensibilités diverses, les héritages dune famille politique où se côtoient radicaux et modérés, tous unis autour dun schéma général. Faire lhistoire du socialisme, cest aussi revenir au dix-neuvième siècle, à lheure où le bonheur est une idée neuve en Europe, cest observer le pari, que font quelques penseurs de la modernité, que la Raison peut simposer comme un moteur de lhistoire, plus efficace et moins polluant que dautres. Cest enfin distinguer ce quil y a de lyrique et de mystique dans une conception qui se veut rationnelle.
Lidée socialiste émerge au XIXe siècle : elle croise le sillage des philosophes, sinsinue dans les rêveries des «utopistes» (ainsi que les dénonçaient Marx et Engels, trop heureux de les piller un peu), elle se heurte aussi au principe de réalité, et hésite alors entre la solution violente et la solution légaliste
un dilemme qui reste dactualité. Elle saffronte à la théorie anarchiste et au refus de toute autorité, fut-elle intellectuelle. Si elle s'incarne dans lidéal démocratique, naissant en 1848, elle succombe également aux charmes de la mystique, avec Charles Péguy.
Au fil de la lecture et des rencontres (Owen, Blanc, Blanqui, Péguy, Marx, etc.), un socialisme à visage humain se dessine, qui rend dautant plus sidérante la seconde partie de louvrage, consacrée à la Révolution et ses thuriféraires. Car lidée socialiste se rencontre avec le romantisme révolutionnaire pour donner une famille idéologique singulière, éparse, conflictuelle mais passionnante à explorer. De Marx à Mao, la Révolution simpose comme un horizon en soi, un projet qui suniversalise, qui peut même admettre une certaine subjectivité dans la forme (une alternative au marxisme-léninisme), mais qui, pour prospérer, se nourrit de ses propres illusions comme de ses troupes avec, en ligne de mire, cette figure déconcertante du «parti» révolutionnaire, un oxymore rassurant
Restent, plus réalistes, les sociaux démocrates, qui évoluent en ordre dispersé du collectivisme au marché, et des marges au pouvoir, «à la pointe extrême de la logique démocratique», en quête dun réenchantement qui reste à inventer.
A quoi reconnaît-on un bon livre : sans doute, et finalement, au plaisir quon a à le prendre et à sisoler avec son auteur pour un moment de lecture. Le livre de Jérôme Grondeux appartient à ce genre de livres, cest comme une causerie, au coin du feu, avec quelquun dont le plaisir le plus manifeste est denseigner, de débattre, de proposer des idées, de soumettre une théorie, raconter une anecdote. Il y a des historiens pour sonder les archives en quête de faits, et il y a des historiens pour expliquer le passé, en éclairer la trame et lui donner un sens. Jérôme Grondeux appartient à cette famille ; avec un sens de la formule qui trahit le pédagogue rôdé, il propose, en un volume, une saisissante galerie de portraits, un vaste tableau de lidée socialiste et de son évolution, une forte évocation de la modernité, et une théorie, construite, du socialisme et de son inscription dans lHistoire (on aimerait dailleurs en lire le pendant droitier
).
Les mauvais coucheurs le blâmeront peut-être de ne pas sêtre livré aux charmes douteux de la prospective et de lanalyse électorale un exercice auquel il se livre sur internet, chaque chose à sa place. En lecteur de Marx, lauteur ne sest pas penché sur les marmites de lavenir ; celles du passé sont déjà suffisamment éclaircies après sa lecture
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 10/04/2012 ) Imprimer
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