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Dr New Deal & Mr Roosevelt | | | Yves-Marie Péréon Franklin Roosevelt Tallandier - Texto 2015 / 12.50 € - 81.88 ffr. / 650 pages ISBN : 979-10-210-1011-6 FORMAT : 12,0 cm × 18,0 cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Lombre de Franklin Delano Roosevelt plane sur lhistoire politique américaine : lhomme du New Deal, le président de temps de guerre, linitiateur dune «présidence impériale» - selon lexpression dArthur Schlesinger -, demeure un personnage majeur, qui, dans le cours de quatre mandats, a mené les Etats-Unis à travers une crise économique majeure et une guerre mondiale, révolutionné le rapport des Américains au pouvoir, imposé lEtat fédéral. Autant dire que pour nimporte quel président il figure une référence obligatoire, lhomme qui disait ne craindre que la peur elle-même. Il fallait une certaine audace, et une bonne connaissance de lhistoire américaine, pour aborder ce personnage qui ne se laisse pas si facilement résumer. Car lhomme est complexe, patricien au discours social, voire populiste, aussi dissimulé quhabile communicateur.
Aussi cette biographie, rédigée de main de maître par Yves-Marie Péréon, maître de conférences à luniversité de Rouen, vaut-elle le détour : il sagit de saisir lhomme, le président, dans toute sa complexité, sans sacrifier au mythe du grand homme et à la légende Roosevelt, au cur dune période également dense et riche de soubresauts.
Pour cela, lauteur a adopté une démarche classique, déroulant chronologiquement la vie de F.D. Roosevelt, depuis sa naissance, en 1882, dans une famille de patriciens de la côte Est. La richesse façonne Roosevelt, sans toutefois faire de lui un homme daffaire, et il est déjà remarquable de constater que le père du New deal joue à la bourse comme la majeure partie de ses concitoyens, sans distinguer limminence du krach de 1929. Avant tout, Roosevelt est un politique, bien conseillé (lindispensable Louis Howe), habile à la communication, consensuel, brillant. Si sa séduction naturelle fait des merveilles, il sait aussi se tailler un costume de leader démocrate, autant apprécié des gens du Nord que des paysans du Sud. Limage de lhomme tenace, forgée dans ladversité du fait de la poliomyélite, lui sied parfaitement, et, tant face à la maladie que lors des primaires des quatre élections présidentielles remportées, il simpose par son énergie autant que par son habileté. Esquissant un tableau succinct, mais dense, de la crise, lauteur oppose la légende noire dHerbert Hoover à la légende dorée de F. D. Roosevelt, avant dévaluer plus objectivement les efforts, et les personnalités, des deux présidents. Car la crise est une épreuve morale autant que physique.
Or Roosevelt naffronte pas les épreuves seul : entouré dune équipe de conseillers fidèles et dexperts le «brain trust», il sait ménager ses effets et jouer des fameux «cent jours» pour imposer un train de réformes. Le tableau du New Deal est passionnant, et lauteur sait, sans trop ségarer dans lingénierie économique, rendre clairs les enjeux, financiers et politiques, le rôle des conseillers et des proches (Eleanor, son épouse, et ses fils), le duel avec la Cour suprême, les inspirations (avec Keynes comme caution), etc. Pour une politique qui ressemble à un exercice déquilibriste entre réforme et relance, avec, en toile de fond, une crise mondiale et lhypothèse totalitaire. Roosevelt, accusé par les Républicains dêtre un dictateur en puissance, se heurte finalement aux vraies dictatures, plus complexes à réduire que lhostilité de la Cour suprême. Mais dans une certaine mesure, le New Deal figure comme une répétition avant les épreuves de la guerre mondiale
Du «Dr New Deal» au «Dr Win the War», il ny a finalement quun mandat, et Roosevelt discrètement interventionniste dans une Amérique isolationniste en diable conclut la «Short war», cette guerre par procuration, par une entrée fracassante dans le conflit. Certes, il a peut être sous-estimé la menace nippone, mais au final, lintervention américaine, soutenue par lopinion, tranche avec une tradition isolationniste datant de George Washington. Subtilement, Roosevelt a fait passer lAmérique du «cash and carry» isolationniste au prêt bail allié, et la transformée en un «arsenal des démocraties» (lexpression est de lui !)
Il applique dailleurs à la guerre ses recettes du New Deal autant quune gestion qui peut sembler chaotique, mais qui fonctionne. LAmérique en guerre est en fait menée de la même manière que lAmérique en crise. Ainsi, les chapitres consacrés à la guerre mondiale dressent le portrait dun commandant en chef, chevronné, indiscutable, rompu à la direction de lEtat et des hommes. Proche, jusquà la connivence, de Churchill dès 1941 - et la description du couple des «deux empereurs» (selon le mot de Mc Millan pour désigner Churchill et Roosevelt) vaut le détour - Roosevelt incarne, du haut de son fauteuil roulant, une Amérique qui ne plie pas devant ladversité. Restent les anomalies, de Gaulle, Staline : deux personnalités que le président américain naura pas su manuvrer. Pour une guerre quil na finalement pas conclue, mais quil aura menée sans faillir.
Il y a du Kennedy, chez Franklin Roosevelt
ou plutôt du Roosevelt chez le jeune Kennedy : une vieille famille patricienne de la côte Est, un jeune homme charmant, doué et dilettante, de bonnes études juridiques, une carrière politique au sein des démocrates, fondée sur un charisme réel et une indéniable habileté, une maladie combattue sans relâche. La comparaison sarrête toutefois là entre le président assassiné et lhomme aux quatre mandats. Il y a un «mythe» Kennedy et une «énigme» Roosevelt, celle dun homme de contrastes et de paradoxes, finalement difficile à saisir et à prévoir, et dont le bilan fait encore débat.
Yves-Marie Péréon sattaque donc à un monument et sy attaque avec panache : lécriture est sobre, mais le récit, très structuré, savère passionnant. Pas de digressions inutiles ni dérudition excessive, mais au contraire une vie, un destin, au croisement du rêve américain et du siècle des excès. Louvrage se dévore, tant lauteur sait, dune phrase, décrire un personnage, sentir une situation, une crise. Avec la même habileté, il évoque un Roosevelt qui semble planer sur la réalité, tout en conservant, via son «brain trust», un regard aigu sur le monde. Cette biographie, bien écrite et bien sentie, fera date et simpose comme la biographie francophone de référence : nourrie de nombreuses lectures et dun vaste travail darchives, elle joint la rigueur scientifique au charme dune conversation au coin du feu, telle que laffectionnait le président Roosevelt
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 10/03/2015 ) Imprimer
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