| Jorge Semprun Peter Knapp Peter Knapp dessine L'Ecriture ou la vie de Jorge Semprun Gallimard Editions du Chêne 2012 / 29 € - 189.95 ffr. / 100 pages ISBN : 978-2-07-013879-1 FORMAT : 24,0 cm × 31,0 cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Peter Knapp (né en 1931), peintre, photographe, journaliste, il ouvert sur le monde, découvre en 1996 à Strasbourg où il finit le montage dun film, le livre LEcriture ou la vie de Jorge Semprun (1923-2011), dans lequel Semprun se remémore ses années de camps dans lAllemagne nazie. Peter Knapp est frappé par les mots en allemand du texte. Ces mots qui sont ceux de la langue inventée par les nazis pour dire la réalité de terreur quils construisaient. On peut dailleurs ici renvoyer le lecteur à un autre ouvrage célèbre sur les relations entre langue et totalitarisme : V. Klemperer, LTI, la langue du Troisième Reich. Carnets dun philologue (éd. allemande 1947, française 1996). Jorge Semprun a volontairement laissé sans traduction ces mots et Peter Knapp les traduit en aquarelles et dessins pour lui seul. En 2010, bien plus tard donc, il les montre à Jorge Semprun et, ensemble, ils décident de choisir des extraits de LEcriture ou la vie pour en faire une édition illustrée de ces aquarelles (en 4ème de couverture mieux quun texte bavard, les éditeurs donnent les vignettes du premier projet de livre). Semprun meurt avant la parution.
Ce nest donc pas tout le texte mais des extraits qui revivent ici, avec force et violence : «Depuis deux ans, je vivais sans visage. Nul miroir à Buchenwald». Le texte très fort de Semprun est avant tout - en dépit de lhorreur vécue, remémorée - hymne à la vie : «On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire lamour le plus fou, la plus terrible cruauté. On peut nommer le mal, son goût de pavot, ses bonheurs délétères. On peut dire Dieu et ce nest pas peu dire. On peut dire la rose et la rosée, lespace dun matin. On peut dire la tendresse, locéan tutélaire de la bonté. On peut dire lavenir, les poètes sy aventurent les yeux fermés, la bouche fertile».
A la force et la vitalité de lécriture, Peter Knapp ajoute celles des images qui ouvrent dautres horizons, fidèles au texte quelles enrichissent. Les aquarelles simposent demblée au lecteur et la typographie les accompagne, les souligne, évoquant les caractères des anciennes machines à écrire, avec des phrases, sous-titres, légendes, expressions du texte calligraphiées à la plume. La palette est en tonalités de bleus, gris, bruns, rouges sombres. Les lavis de laquarelle disent aussi la disparition à l'uvre. Survit lécriture.
Un très beau livre, grand format, beau papier, avec deux larges rabats : autant livre dart, que dhistoire et de mémoire, une très belle écriture.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 22/01/2013 ) Imprimer
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