| Mathilde Larrère Collectif Révolutions - Quand les peuples font l'histoire Belin 2013 / 39 € - 255.45 ffr. / 240 pages ISBN : 978-2-7011-6275-1 FORMAT : 25,5 cm × 26,0 cm
Mathilde Larrère collabore à Parutions.com
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Quelle soit glorieuse ou confisquée, de velours, orange, arabe, universaliste ou irréductiblement nationale, la révolution, échappée du lexique astronomique, simpose dès le XVIIe siècle comme un phénomène à la fois singulier et récurrent, une référence copiée et constamment réinventée. Cette irruption, sur le mode revendicatif, voire violent, de la souveraineté populaire, se décline de diverses manières, mais conserve quelques traits communs, qui font que, du XVIIe siècle à nos jours, de lEurope au Proche Orient, le phénomène se reproduit. En tant que telle, la révolution délimite une ère nouvelle où le peuple, en corps, se saisit du pouvoir : sortant du cadre étroit des périodes canoniques et de lhistoire occidentale, Mathilde Larrère (université Paris Est), à la tête dune équipe dhistoriens chevronnés, spécialistes de divers aires géographiques, propose de ce phénomène une approche mêlant histoire politique et histoire des représentations. Il sagit non seulement de saisir lévénement, den sonder les prémices, den distinguer la dynamique propre, mais également den scruter les représentations, den analyser les échos, et, finalement, de discerner, au-delà de la seule crise, les récurrences et les logiques de la révolution en tant que pratique.
On se rappelle la formule ironique de Karl Marx sur lHistoire qui se répète
mais dans une certaine mesure, la révolution se veut une rupture de lhistoire. Dès les XVIIe siècle anglais et la Glorieuse révolution, lAngleterre saffiche en pionnière, quelle profite de la révolution ou quelle la subisse, comme dans ses colonies américaines. Le modèle séchafaude alors, incomplètement toutefois
car un fait demeure : la révolution quelle soit astronomique ou politique implique un mouvement complet et ne saurait se satisfaire de demies-mesures. Au bouleversement politique doit correspondre un changement social. Cest en cela que la révolution française semble pionnière, en dépit de ses origines atlantiques : tout à la fois, le régime monarchique, la société dordre, sécroulent, une république se forme, un discours libéral aux prétentions universelles se fait jour : lélan de cette révolution dépasse largement le seul cadre français. Elle est la référence absolue, celle des peuples en soulèvement, mais également celle des adversaires des libertés, et le débat qui agite le siècle autour de sa «fin» est significatif. Ce modèle français, à lhistoire heurtée, demeure une référence au XIXe siècle, non seulement en France même, où il se répète (1830, 1848, 1871), en Europe, où il sexporte (Belgique) voire dans lEmpire ottoman et en Amérique du Sud où, sous la houlette dun Bolivar, il sacclimate.
Le siècle suivant voit émerger dautres modèles, qui sinspirent, il est vrai, de 1789 : la révolution russe de 1917 entend bien dépasser ce modèle et offrir, à son tour, aux populations, un espoir. Cest donc vers Moscou que les regards se tournent, en Allemagne comme en Hongrie
Et de fait, lURSS parvient à ce résultat improbable dune révolution institutionnalisée, dont on se demande dès lors si elle peut prendre fin. Mais plutôt quun accomplissement, cest une sclérose qui menace, incarnée par le stalinisme
et dénoncée par Trotski, qui appelle à révolutionner cette révolution figée. Cest sans doute le troisième temps de cette histoire : si lidée révolutionnaire a gagné la gauche, elle la également divisée, voire désorganisée, comme dans lEspagne en guerre civile. La révolution française fut une référence absolue, la révolution russe égarée peut-être dans le totalitarisme a vu les modèles alternatifs et contre-modèles se développer : la Chine, Cuba. Aboutissement de cette rivalité, la crise de 68 figure comme une somme de références, au risque de désenchantements futurs.
Il fallait la révolution portugaise de 1974, puis lécroulement du bloc socialiste sous les coups des diverses révolutions, de velours et de couleurs, pour que lidée révolutionnaire, ayant accompli son cycle, revienne à ses marques, celle dune souveraineté populaire qui simpose. Si les icônes demeurent, si les risques persistent, comme avec la révolution islamique iranienne, ou dans les affres des «révolutions arabes», les populations se sont réappropriées cette forme ultime de contestation, égarée dans les idéologies totalitaires. Très astronomiquement, la révolution a décrit une révolution pour revenir à son espoir originel
Ainsi, la révolution savère pertinente comme objet dune histoire connectée. On la perçoit de fait comme singulière, un moment unique qui nappartient quà une communauté ou quà une nation
Et pourtant, elle véhicule des thèmes, des pratiques, des modèles qui font que, dune révolution lautre, une généalogie sinstaure, jusque dans ses pires extrémités (à la Terreur répond une Terreur blanche, puis, bien plus tard, une Terreur rouge). A cet égard, les échos de la Révolution française résonnent largement, notamment dans liconographie, amplement mobilisée. Louvrage explore ces facettes avec délice, sintéresse aux circulations de lidée comme de sa contestation le thème du danger voire de lhydre révolutionnaire est abordé. Les auteurs ont également eu soin de se pencher sur les révolutions conservatrices, nazi et fasciste, qui déclinent, dans un sens autre, cette idée dune histoire en mouvement permanent, incarnée par un leader charismatique, un «homme foule». Enfin, les actrices car la violence révolutionnaire est paritaire font également lobjet dune réflexion.
Au final donc, un ouvrage important, qui offre du phénomène une lecture globale. A la qualité des analyses, il faut rapprocher lampleur de liconographie : gravures, affiches et photographies entraînent le lecteur dans une histoire révolutionnée de lère contemporaine, à travers les continents. Surtout, cet ouvrage donne un sens à un phénomène généralement perçu avec les seules lumières des histoires nationales. Est-ce le sens de lhistoire ?
Bientôt Noël et si le père Noël na rien dun révolutionnaire, la couleur rouge de son habit, et sa barbe éminemment marxienne le désignent comme un sympathisant discret du phénomène
Alors autant se faire plaisir avec ce bel et bon livre, excellente démonstration des enjeux dune histoire connectée, autour dun objet historique bien analysé et joliment mis en image. Un ouvrage de référence autant quune bel objet.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 17/12/2013 ) Imprimer
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