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Galerie de Dames entre tradition et modernité | | | Christine Peltre Femmes ottomanes et dames turques - Une collection de cartes postales (1880-1930) Bleu autour - D'un regard l'autre 2014 / 25 € - 163.75 ffr. / 160 pages ISBN : 978-2-35848-060-4 FORMAT : 22,8 cm × 22,8 cm
Lizi Behmoaras (Postfacier) Imprimer
Les éditions Bleu Autour ont déjà à plusieurs reprises publié des recueils de cartes postales anciennes (Femmes en métier dhommes, Femmes dAfrique du Nord, Juives dAfrique du Nord, Egyptiennes) : elles ont par ailleurs un beau catalogue consacré à la Turquie et à lEmpire ottoman. Femmes ottomanes et dames turques sinscrit donc tout naturellement dans cette ligne éditoriale. Universitaire, Christine Peltre enseigne lhistoire de lart contemporain à lUniversité de Strasbourg ; elle est spécialiste de lorientalisme, ce qui l'a conduite à présenter ces cartes postales, témoignages émouvants de la naissance de la Turquie moderne, vue sous langle féminin.
La «photographie timbrée» naît en 1869 dans lEmpire austro-hongrois et la première carte postale en France est postée à Strasbourg en septembre 1870. A Istanbul, en 1895, sinstalle celui qui sera le premier et le principal éditeur de cartes postales, Max Fruchtermann. Les années 1900-1920 constituent un âge dor de la carte postale. Pierre de Gigord a rassemblé une impressionnante collection de cartes postales créées dans lEmpire ottoman puis en Turquie, qui représentent des femmes, et dont en 1994 il a cédé une partie au Getty Museum. Ce sont des cartes postales de sa collection qui sont ici présentées.
Le premier intérêt réside dans cette collection ethnographique de portraits féminins qui donne à voir la variété ethnique de lempire ottoman : albanaises-musulmanes et catholiques en costume, kurdes, princesse monténégrine, paysanne anatolienne, bédouine, bohémiennes, bulgares, crétoises, arméniennes, syriennes, juives de Salonique
Femmes dans lespace public (la rue, la place
) mais également dans leurs intérieurs, voilées ou non.
Toutefois, la carte postale ne sarrête pas à la seule description imagée, elle est aussi regard de lautre : double regard, celui du photographe qui a fixé le portrait, celui de lenvoyeur qui a choisi une carte précise et sen explique parfois dans son texte. Relayant la peinture orientaliste à moindres frais (et sen inspirant parfois), la carte postale est également loccasion de multiples scènes de genre : cérémonie du café, femme dans son intérieur, etc. Elle participe aussi de limage du pays : les métiers (tisseuses de tapis, bergères, trieuses de figues et dolives), la modernité qui sinstalle (écoles, ateliers dapprentissage
).
Ces cartes sont des témoins de la volontaire entrée des Ottomans puis des Turcs dans la modernité : la révolution des Jeunes Turcs en 1908 apparaît chargé de promesses pour la condition féminine, et une carte postale étonnante représente une femme, visage découvert, vêtue à loccidentale, qui tient fièrement le drapeau turc, avec une écharpe aux mêmes couleurs, et en légende : «Souvenir de la proclamation de la Constitution à Salonique le 11/24 juillet 1908» ; sur le même thème, dautres cartes postales avec des femmes en costume traditionnel, voilées ou non.
Bien davantage quun album de photographies exotiques, ce livre ouvre une réflexion, appuyée sur de nombreuses citations dauteurs variés, sur la place de la femme dans la société ottomane puis turque, et propose pour le début du XXe siècle une réalité qui séloigne sensiblement des clichés habituels, tels ce témoignage de lhistorien byzantiniste Charles Diehl, écrit en 1924 : «Je me souviens dêtre entré, un jour de grande cérémonie religieuse, à la mosquée de Fatih : plusieurs centaines de femmes, pour la plupart de condition moyenne, y étaient rassemblées ; à peine une vingtaine dentre elles conservaient-elles le voile. Et cependant la mosquée sélève au coeur même de «Stamboul ottoman»».
Une réalité quanalyse dans une postface bien documentée Lizi Behmoaras, écrivain, traductrice et journaliste turque, qui ouvre des horizons sur la condition féminine, et les étapes de lémancipation des Ottomanes et de leurs petites filles turques. Laissons lui la conclusion : «Entrer, pour reprendre lexpression du poète Nâzim Hikmet, dans les «paysages humains» que constituent ces cartes postales, cest approcher de lintérieur les modes de lEmpire ottoman finissant et de la République turque naissante, des mondes pétris dHistoire, bardés de contradictions, en perpétuel mouvement».
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 21/01/2015 ) Imprimer
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