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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Harlemite et Villettois
Judith Rainhorn   Paris, New York : des migrants italiens - Années 1880 - années 1930
CNRS éditions - CNRS Histoire 2005 /  25 € - 163.75 ffr. / 233 pages
ISBN : 2-271-06330-2
FORMAT : 17x24 cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.
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Entre 1880 et les années 1930, des millions d’Italiens quittent leurs pauvres campagnes pour chercher du travail. Leurs destinations privilégiées sont les Etats-Unis (en première place) et la France. L’instauration de quotas aux Etats-Unis en 1920 met fin aux flux migratoires, et la France devient dès lors la principale destination d’Italiens qui, en plus de fuir la misère, fuient désormais le fascisme. Certains ne font que passer, d’autres s’installent. New York et Paris retiennent une bonne partie de ces migrants, qui tendent à se regrouper dans les quartiers périphériques et populaires des métropoles. À Harlem ou à La Villette, des petites Italies se constituent. En 1920, avec plus de 800 000 habitants d’origine italienne (Italiens, naturalisés et enfants d’Italiens), New York est avec Milan la deuxième ville italienne du monde après Rome, et plus de 100 000 Italiens vivent dans l’agglomération parisienne en 1926.

Judith Rainhorn a choisi de mettre en perspective l’expérience migratoire italienne au sein de ces deux lieux d’accueil différents, de part et d’autre de l’Atlantique. Le livre, qui suit un fil globalement chronologique, accompagnant la naissance, l’épanouissement puis la dissolution des territoires italiens harlemite et villettois, s’emploie à comprendre la nature et l’évolution des phénomènes d’immigration, d’implantation locale, d’insertion professionnelle et sociale des migrants. La variation des échelles (au niveau de la communauté italienne à New York, à l’échelle des deux quartiers retenus, mais aussi à l’échelle du ménage italien, voire de l’individu) éclaire bien la nature de cette expérience migratoire.

C’est à l’orée des années 1880 que le rythme migratoire s’accélère tant vers la France que vers les Etats Unis. A New York comme à Paris, les migrants se rassemblent dans les quartiers périphériques, industriels, à l’habitat déprécié et souvent insalubre mais où les loyers sont bas. Si la population des migrants se définit d’abord par son nomadisme, ces espaces constituent des points d’ancrage, des repères, et, pour certains, l’espace d’une sédentarisation.
En étudiant les stratégies matrimoniales (si les Italiens de la Villette épousent des Français(e)s, les Italiens de Harlem brillent par leur endogamie), les logiques de regroupement des ménages à l’échelle du quartier (dans les deux cas, les Italiens occupent des immeubles entiers, et constituent, dans certaines portions de rues, la majorité de la population), l’auteur décrypte la formation de ces petites Italies.

Elle suit également les migrants au travail. Faisant un sort à l’idée préconçue d’une spécialisation professionnelle des migrants (les Italiens, tous dans le bâtiment !) elle montre au contraire toute la palette des situations professionnelles et la réalité pour beaucoup de ces Italiens sous-qualifiés venus de la campagne : la découverte de l’usine. Elle analyse également le monde de la petite boutique italienne. Une sous-partie est consacrée aux parentes pauvres de l’historiographie de l’immigration que sont les femmes. Car l’immigration italienne est une immigration des familles. L’auteur montre bien la tension pour ces femmes entre le travail (souvent à domicile) et la maternité et le foyer (vaste foyer pour ces familles nombreuses).

Hors du travail, l’ouvrage questionne les ciments du lien social, et toutes ces pratiques (pratiques religieuses, loisirs, mais aussi militantisme) qui participent de l’édification ou au contraire de la dissolution des frontières qui bornent le groupe. L’écart est grand entre la piété démonstrative et festive des Italiens d’Harlem pour Notre-Dame du Mont-Carmel et la dissolution des pratiques religieuses dans le milieu parisien. Les jeux de cartes et de boules résistent difficilement aux loisirs offerts par les deux métropoles modernes, sport et cinéma. L’auteur livre enfin un portrait politique nuancé en jaune (les Italiens ont la réputation de briseurs de grèves), rouge et noir, analysant la part prise par les Italiens dans les conflits du travail, les engagements antifascistes ou fascisants. Si à Harlem, le maintien du campanilisme, les habitudes sociales et les traditions familiales sont autant de facteurs qui attestent de la résistance de l’italianité au delà de la première génération de migrants, le constat est beaucoup plus nuancé pour le quartier de La Villette.

Enfin, le dernier chapitre analyse le dépérissement des petites Italies. Le début des années 1920 est dans les deux métropoles celui de l’apogée de la présence italienne, mais aussi celui de la crise : délabrement du bâti, délinquance juvénile, même criminalité organisée aux Etats-Unis. Le quartier se vide cependant que les nouvelles vagues migratoires (surtout dans le cas français, les frontières américaines s’étant closes) choisissent d’autres points d’ancrage : la banlieue attire désormais les Italiens.

L’approche comparative choisie par l’auteur se révèle de bout en bout particulièrement stimulante et heuristique : non seulement la comparaison éclaire cette histoire des migrations italiennes, mais l’ouvrage prêche en général en faveur d’une démarche qui de façon évidente stimule le questionnement, force la nuance, bouleverse les idées reçues.

Tout au long de son étude, Judith Rainhorn démontre qu’il n’y a pas de migrant type. La sédentarisation d’une partie des migrants n’est pas contradictoire avec le nomadisme d’une majorité. Les comportements matrimoniaux, culturels, sociaux, politiques varient selon les lieux (d’origine et d’accueil) et les époques. Elle s’attaque aussi efficacement à l’histoire ethnique et ghettoïsée d’une prétendue «communauté» italienne à Paris ou à New York, et montre en permanence les failles de cette vision. La faiblesse de l’identité nationale a miné la constitution d’une communauté italienne autant que l’interaction avec le milieu d’accueil. Enfin, elle affine l’opposition classique entre un modèle d’intégration français universaliste et un modèle américain aux rapports sociaux ethnicisés. Contre ce regard qui ne se place que du côté du pays d’accueil, elle oppose la richesse de l’analyse des comportements des migrants. L’intégration est le produit d’un corps à corps qui ne peut se comprendre que par l’analyse de l’expérience migratoire.


Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 02/10/2005 )
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