L'actualité du livre Vendredi 19 avril 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Passage à l’acte
Liora Israël   Robes noires, années sombres - Avocats et magistrats en résistance pendant le Seconde Guerre mondiale
Fayard - Pour une histoire du XXe siècle 2005 /  28 € - 183.4 ffr. / 547 pages
ISBN : 2-213-62288-4
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
Imprimer

La Deuxième Guerre mondiale, l’Occupation, le dilemme «résistance ou attentisme», l’abîme de la collaboration… On a parfois l’impression que le sujet, largement labouré, ne saurait plus faire éclore de travaux novateurs. Mais l’angle thématique recèle encore des pépites. Comme le constate Liora Israël, maître de conférences à l’EHESS, dans Robes noires et années sombres, les professions du droit sont, en France, un sujet peu étudié et l’essentiel des travaux provient souvent de la sociologie. Il y avait donc un chantier à ouvrir, un désert à explorer et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’étude, issue d’une thèse universitaire, est à la fois riche, stimulante et convaincante.

Les magistrats, les avocats… bref, la robe est un milieu original en ce qu’il permet de porter un regard particulier sur les notions de légitimité, de légalité, de souveraineté, dans une période où ces valeurs sont floues, mal définies voire soumises à un prisme idéologique. Imbue de positivisme juridique (la question est fort bien traitée dans le chapitre 4), la carrière juridique doit se positionner par rapport à la Révolution nationale, le pétainisme et Vichy. La résistance devient, en ce cas précis, un véritable enjeu intellectuel, celui d’une redéfinition du droit ou, pour reprendre une expression de l’auteur, «une approche du droit et de ses institutions en acte». Distinguant bien les deux carrières, L. Israël s’intéresse à des figures institutionnelles (le bâtonnier, le magistrat, le procureur, le professeur de droit…), à des groupes (comme les associations professionnelles plus ou moins politisées, les institutions corporatives, les réseaux de résistance) afin d’isoler des choix, des comportements, des modalités d’action à la lumière d’un engagement particulier, «l’invention de la résistance».

Pour saisir l’évolution des attitudes durant la guerre, il est déjà bon de s’intéresser aux années 30, à un milieu en pleine évolution, qui connaît les prémices d’une sorte de massification où les «héritiers» - pour reprendre un lexique sociologique d’usage - sont peu à peu rattrapés, puis submergés par les «oblats». La méritocratie gagne les professions juridiques, au moment où celles-ci perdent peu à peu du terrain au sein des élites politiques. Un bouleversement social qui amène dans le métier des «couches nouvelles». C’est cette génération bouleversée, bien analysée dans une première partie, qui doit faire face à la crise des valeurs (entre autres) des «années sombres».

Car crise il y a, dans un barreau où la politique est un élément de plus en plus structurant, notamment l’attitude vis-à-vis du communisme (cf. l’affaire du procès des 44, en 1939). Si les avocats les plus engagés sont les premiers inquiétés, toute la profession est en alerte. L’entrée en résistance est bien évidemment le nerf central du travail : et la résistance des professionnels du droit peut prendre diverses formes, depuis l’action clandestine et immédiate du réseau «du musée de l’homme», où s’illustrent quelques avocats, à la théorisation juridique de la résistance, sous la plume précoce d’un René Cassin, en passant par un légalisme d’obstruction tel que celui pratiqué par le bâtonnier J. Charpentier (par ailleurs défenseur de P. Reynaud), ou encore la dénonciation de la «justice» pratiquée aux procès de Riom. La palette des modes d’opposition est vaste (sans pour autant justifier de manière systématique l’appellation de «résistance»), posant la question des enjeux politiques d’une pratique professionnelle.

C’est là une interrogation constante, notamment quand la profession se retrouve à la fois dans le prétoire et sur le ban des accusés, ou encore lorsque les décrets antisémites frappent la corporation. On le constate alors, le barreau réagit généralement et soutient ses éléments : «réflexe corporatiste», constate-t-on, mais le conseil de l’Ordre – protecteur officiel – sait sortir de ses tâches habituelles, allant jusqu’à organiser la fuite de certains de ses membres. La situation des magistrats est plus délicate, comme serviteurs de l’Etat, parlant «son langage» (pour reprendre une belle formule de l’auteur) : à ce titre, la résistance semble incompatible avec la charge... Or si un seul a refusé de prêter serment (P. Didier), d’autres usent de leurs charges pour enrayer la machine judiciaire, ou la dévoyer (ainsi ce procureur Stamm de Louviers, qui commence une carrière de faussaire…). Faut-il démissionner ou rester en place ? Prendre les armes ou garder la robe ? La réflexion, dans ce cas, relève de la dimension individuelle et la logique de système se heurte à l’irréductibilité des cas particuliers.

Le cas des organisations de résistance est plus aisé à cerner, car plus classique : L. Israël examine les organisations «spécifiques» de juristes. Ici comme ailleurs, on assiste – au sein de la résistance intérieure - au conflit entre communistes du Front national des Juristes (et les groupes rattachés) et les autres (réseau Valmy, Organisation Civile et militaire…) puis à la mise en place, dès 1943, d’une politique d’union (au sein du Comité national judiciaire), plus pragmatique que sincère. Mais les Français de l’extérieur ne sont pas oubliés, à travers la personne de René Cassin, juriste de la France libre et commissaire à la justice. En analysant le fonctionnement et l’activité des juristes de Londres (dans une sorte de «république des comités» - CGE, CJ - aux compétences multiples et entrecroisées), l’auteur développe la question de la théorie juridique face à Vichy, du célèbre rapport entre la légitimité et la légalité. A Londres, à Alger, on réfléchit également aux lendemains : les urgences de l’heure sont autres, et de fait, la résistance des juristes à l’extérieur tranche avec celle de l’intérieur. De manière fort logique, l’ouvrage s’achève sur un long épilogue concernant l’épuration (réflexion déjà engagée par l’auteur dans la très belle synthèse dirigée en 2003 par M.-O. Baruch, Une poignée de misérables).

L’ouvrage de Liora Israël s’avère à la fois riche et, par endroits, énervant : riche comme une belle étude historique, classiquement menée et documentée, avec une problématique passionnante et des réponses - au singulier comme au pluriel – nuancées ; énervant lorsque l’auteur s’engage sur le terrain d’une sociologie de la décision qui verse dans la généralité. Car si L. Israël, dans une annexe méthodologique efficace (et plutôt introductive d’ailleurs), défend une approche socio-historique novatrice (du moins concernant la période), cela donne dans le corps du texte des raisonnements parfois un peu redondants et jargonnants, des schémas relationnels à l’utilité discutable, énième écho du sempiternel débat entre historiens et sociologues.

Une démarche légitime donc, certainement louable, servie par une belle plume, mais qui ne convainc pas toujours par sa pertinence. Il n’empêche, l’excellence du travail historique s’impose : passant aisément des cas individuels aux cas collectifs (de la corporation aux réseaux, en somme), l’auteur sait donner à ce groupe quasi protéiforme une cohérence qui est celle de la pratique du droit dans la société, et de l’usage «résistant » du droit (en terme de lieux, d’institutions, de concepts et d’individus).

La démonstration est réussie. Au final, une belle thèse, qui illustre les ambiguïtés d’une culture professionnelle autant que d’individus. «Magistral», faudrait-il conclure !


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 11/10/2005 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Une poignée de misérables
       de Marc-Olivier Baruch , collectif
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd