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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Bourreau, fais-ton office ! | | | Gérard A. Jaeger Anatole Deibler, l’homme qui trancha quatre cents têtes éditions du Félin 2001 / 21,04 € - 137.81 ffr. / 294 pages ISBN : 2866454081 Imprimer
La biographie de lun des derniers bourreaux de la République, curieusement dédiée dabord « à la mémoire de ceux que la justice française a punis de mort », et seulement ensuite « à leurs victimes oubliées », sinscrit dans le cadre du vingtième anniversaire de labolition de la peine de mort en France, qui a donné lieu à la publication de plusieurs ouvrages (dont celui, très médiatisé, de Robert Badinter). Gérard A. Jaeger nous conte la vie dun homme, mais aussi celle dune dynastie, car depuis 1870, il nexiste plus quun seul exécuteur des hautes uvres pour la métropole. Comme ses prédécesseurs, son père et son grand-père (dorigine bavaroise), Anatole Deibler aurait eu le droit de choisir son successeur sil nétait mort subitement au matin du 2 février 1939, en allant exercer son art à la prison de Rennes.
Cette corporation a ses rites, parfois étranges le père : Louis Deibler, conserve ainsi les vêtements de ses « patients » dans un vestiaire de la prison de la Roquette. Elle a ses bassesses, comme cette concurrence féroce entre les aides en vue de succéder au « maître » (lun deux va jusquà saboter la machine à Nancy en 1897 !). Elle a ses inconvénients, nombreux : lorsque le menuisier qui fabrique les « bois de justice » lui refuse la main de sa fille, lhéritier doit se rabattre sur celle dun médecin belge. Il est très difficile à un bourreau de se marier en dehors de son milieu. En voudriez-vous pour gendre ?
Anatole est « un Deibler, un enfant différent des autres par le hasard de la vie ». Lauteur a choisi le parti den faire un bourreau malgré lui, entraîné dans la profession par sa famille, ce dont les documents et témoignages dont nous disposons sont loin dattester. Les doutes et les états dâme abondamment décrits de « lofficiant » ne reposent que sur lintime conviction de M. Jaeger. Tête de Turc de ses camarades décole puis de régiment, Deibler a en tout cas trouvé un certain épanouissement dans sa vie professionnelle. Orfèvre minutieux de la mort, éprouvait-il du plaisir au moment de lâcher le couperet ? Nous en sommes réduits à des conjectures, à vrai dire sans grand intérêt. Après avoir été lassistant de son grand-père maternel en Algérie, il est celui de son père, notamment pour lexécution de Vacher, « léventreur du Sud-Est » (décembre 1897), un tueur en série de jeunes bergers qui inspira plus tard le film de Tavernier Le Juge et lAssassin. Lauteur trouve curieusement des points communs au « monstre » et à son bourreau. Il nest pas loin daffirmer que Deibler aurait été un criminel sil navait trouvé lexutoire du « meurtre légal ». Le suivra qui voudra sur cette voie.
Le 1er janvier 1899, Anatole Deibler est nommé exécuteur en chef des arrêts criminels en France. Sa première « prestation » dans la capitale attire la grande foule. On loue son adresse, sa « propreté », sa précision et sa rapidité. Le public se presse aux exécutions non pas tant peut-être par vengeance ou goût du spectacle que pour exorciser sa peur du crime et de la violence, rendus visibles par le développement de la presse populaire. Quant au bourreau, gratifié dun salaire peu élevé (le ministère reste généralement sourd à ses demandes daugmentation), il na pas le statut de fonctionnaire. Son poste nexiste pas ; il nest quun simple agent contractuel de lEtat, comme si la patrie des droits de lhomme avait honte de lui. Il est pourtant la clé de voûte dun système judiciaire encore très peu contesté. Il inquiète et fascine à la fois car il a reçu « la suprême autorisation de tuer au nom du peuple souverain ».
La guillotine, rappelle fort justement lauteur, demeure lun des piliers de la République, héritière des « grands ancêtres » de la Révolution. Il nest pas étonnant alors de voir celui qui lactionne, ce bras armé de « lordre bourgeois », devenir la cible des anarchistes (après les exécutions dHenry, de Vaillant et de Ravachol). Plus tard, ce sont paradoxalement des républicains « avancés », Clemenceau, Jaurès, Briand, qui prennent la tête du combat abolitionniste et font de lui lhomme à abattre. Au tournant du siècle, les présidents Loubet et Fallières gracient beaucoup (malgré quarante-huit condamnations à mort rien que pour 1908). Et puis, les activités reprennent. Après les troubles provoqués par la grâce de linfanticide Soleillard (1907), la foule réclame des têtes. Ce sont dabord celles des chauffeurs du Nord, que Deibler fait rouler dans le panier à Béthune, devant 100 000 personnes (1909). Il reste le maître duvre incontesté du genre jusqu à sa mort : Landru passe entre ses mains expertes.
Cette biographie, qui se lit comme un roman, nest pas exempte de certaines imperfections, telles ces fatigantes digressions psychanalytiques. On se perd aussi parfois dans le labyrinthe des personnages, qui ne sont pas toujours caractérisés demblée. Le dernier chapitre est quelque peu décalqué du premier. Et surtout, léditeur se sent obligé de faire au politiquement correct la concession dun vibrant plaidoyer contre la peine capitale en quatrième de couverture, alors que le ton de louvrage est beaucoup plus neutre. Pourtant, nous avons affaire à une authentique uvre dhistorien : les sources sont bien présentées en fin de volume (archives nationales, archives de la préfecture de police, fonds privés passionnants comme ces carnets tenus par Deibler tout au long de sa vie professionnelle). A une époque plus que jamais préoccupée par la sécurité des citoyens, cet ouvrage nous rappelle que si la peine de mort nest sans doute pas dissuasive plusieurs futurs criminels avaient assisté à des exécutions -, nous navons pas réussi à lui trouver de véritable peine de substitution. Cette évocation du passé constitue donc une intéressante contribution à une réflexion générale sur lavenir de linstitution judiciaire.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 03/06/2002 ) Imprimer | | |
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