| Rémi Kauffer OAS. Histoire d’une guerre franco-française Seuil - L'Epreuve des faits 2002 / 19 € - 124.45 ffr. / 451 pages ISBN : 202054122X Imprimer
Episode particulièrement douloureux des «événements dAlgérie», la guerre civile qui opposa les hommes de lOAS au pouvoir légal na guère fait lobjet de beaucoup détudes jusquici. Il faut dire que le sujet demeure brûlant. En 1993, Jacques Roseau, porte-parole de lassociation pied-noir le Recours, faisait encore les frais de rancoeurs mal apaisées. Au moment où les principaux acteurs commençaient à quitter la scène, R. Kauffer publiait OAS, histoire dune organisation secrète (1986), qui sert de matrice à ce nouvel ouvrage, entièrement réécrit, qui puise aux toutes dernières sources (dont les Mémoires du général Aussaresses, mais aussi de récents travaux universitaires).
Lauteur nous décrit avec brio les racines dun conflit particulièrement fertile en atrocités, attisé par le drame de lingratitude : les métropolitains oublient que larmée qui les a libérés comptait de nombreux Pieds-Noirs, tandis que ces derniers ne veulent plus se souvenir des musulmans qui combattaient à leurs côtés. Le massacre des civils européens par le FLN à El Halia, en 1955, et la vengeance instinctive qui suit enclenchent un processus irréversible de haine. Nous plongeons alors dans les méandres des groupes «dautodéfense», nous suivons les organisateurs des barricades et du putsch, affaires surtout marquées par lamateurisme et la dérobade des «masses» (cest une constance de «lactivisme» en Algérie, comme le reconnaîtra plus tard J.-J. Susini, lun des chefs suprêmes de lOAS après Salan). Mais comment fédérer ceux qui ne sont unis que par un attachement passionné à la terre dAlgérie, quel que soit le prix à payer pour la conserver?
On trouve côte à côte des chouans du bled, des néo-païens convaincus, des intellectuels pleins de scrupules juridiques, des déserteurs en cavale, des «flingueurs» ivres daction, de femmes faciles et de pastis, mais tous redoutables (environ 1 500 morts à leur actif). On ne saurait donc réduire «lorganisation» à une «bande de fachos» nostalgiques de Vichy. Les hommes de gauche, notamment les syndicalistes, qui sétaient déjà illustrés avec férocité dans la répression des émeutes de Sétif en 1945, y sont nombreux. Certains sont danciens communistes, excédés par les prises de position du parti et de ses compagnons de route, comme Sartre, qui justifie en 1961 le meurtre des Européens par les colonisés. On y croise aussi des anciens de la Résistance, comme Georges Bidault, et de la France libre, des harkis et cette OAS juive dOran, qui nest pas la moins sanguinaire.
Dans un style alerte qui ne manque pas dhumour (un paragraphe est ainsi intitulé «petits complots entre amis»), lauteur tente de rendre clair et intelligible ce qui ne lest pas, mais le lecteur se perd parfois quelque peu dans locéan des sigles et un tableau des abréviations aurait été le bienvenu, venant compléter le judicieux dictionnaire biographique qui conclut le volume. Le rôle de Franco, qui ne soutient lOAS que pour obtenir la neutralisation des réseaux républicains encore réfugiés en France, est bien analysé, tout comme les journées de désespoir de la fin du printemps et du début de lété 1962, où lorganisation hésite entre la «paix des braves» avec le FLN et la politique de la terre brûlée. Après lindépendance, lélimination du «traître suprême» De Gaulle devient lobsession des irréductibles. En vain. Quelques autres se recyclent dans le grand banditisme (Spaggiari, simple sympathisant) tandis que la plupart, «rangés des voitures», bénéficient des amnisties successives. Ceux qui ne sont pas dégoûtés de la politique rejoignent le PS, le giscardisme, le Front national ou même le RPR. Mais personne nest sorti indemne dune tragédie où la démocratie sest parfois servie de barbouzes contre des adversaires qui invoquaient la guerre juste de saint Thomas dAquin (ou est-ce le contraire ?)
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 21/01/2003 ) Imprimer
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