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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Le côté de Guermantes ou l’aristocratie en République.
Constance de Castelbajac   Eric Mension-Rigau   Journal de Constance de Castelbajac, marquise de Breteuil - 1885-1886
Perrin 2003 /  20.50 € - 134.28 ffr. / 284 pages
ISBN : 2-262-02055-8
FORMAT : 14 x 23 cm

Présenté par Eric Mension-Rigau

L'auteur du compte-rendu : Marie Cattelain, diplômée de Sciences-Po Paris après une licence d'histoire à Paris-IV, s'intéresse au nationalisme à la Belle Epoque et jusqu'aux années 30 (travaux sur Maurice Pujo, fondateur de l'Action Française). Elle est actuellement enseignante.

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Le nom de Constance de Breteuil (née de Castelbajac), dont Eric Mension-Rigau publie aujourd’hui le journal, est inconnu. Ce n’est pas le cas des personnes qu’elle côtoie et dont les noms peuplent le texte comme le comte Aimery de la Rochefoucauld ou la comtesse Greffulhe, qui reviennent souvent dans les études proustiennes en tant que modèles des personnages de la Recherche du temps perdu (ici le duc et la duchesse de Guermantes). Ce fait contribue grandement à l’intérêt de ce document car il nous permet d’observer le faubourg Saint-Germain un peu avant le moment où il suscitera l’intérêt de Marcel Proust, et d’analyser de l’intérieur les cercles monarchistes en République. L’échec de la restauration au cours des années 1870, la mort du comte de Chambord et l’importance croissante des princes d’Orléans, surtout du comte de Paris, sont autant d’événements qui ont contribué à transformer ces cercles.

En 1885-1886, quand la marquise écrit, la bataille politique est surtout électorale : elle se félicite des succès rencontrés par les monarchistes. Elle se passionne pour les stratégies électorales qui permettent ces succès, d’autant plus que son mari, Henri de Breteuil, est lui-même élu député monarchiste des Hautes-Pyrénées. Mais le journal nous permet aussi de toucher du doigt une réflexion sous-jacente qui est : quelle place l’aristocratie peut-elle tenir en République, entre la nostalgie de l’avant 1789 et la composition avec la réalité politique des années 1880, entre le sens de la tradition, l’obligation de tenir son rang (le plus fastueusement possible) et la modernité qui est malgré tout recherchée ?

A cela s’ajoute la question des princes, qui est longuement évoquée. Le comte de Paris, prétendant unique des monarchistes depuis la mort du comte de Chambord qui réunissait légitimistes et orléanistes, est exilé en juin 1886 ainsi que son fils aîné et Jérôme Bonaparte. Cet exil est vécu comme un déchirement, une trahison de plus de la part de la République, mais aussi, d’une façon assez ambivalente, comme un soulagement. Car en étant hors des frontières, en s’éloignant des contingences de la lutte politique, le comte de Paris reprend sa dimension mythique de descendant d’Henri IV et de Louis XIV. Le mariage de la princesse Amélie avec le duc de Bragance, héritier de la couronne de Portugal, est abondamment relaté par la marquise de Breteuil qui décrit la mariée comme une princesse de conte de fée, exaltant sa beauté et sa bonté. Autant d’indices qui nous permettent de douter de la croyance de Constance de Breteuil en la possibilité d’une restauration.

La marquise de Breteuil écrit ce journal dans les deux dernières années de sa vie alors qu’elle est phtisique et que sa santé l’oblige à mener une vie retirée du monde. Elle se tient au courant des nouvelles grâce aux comptes-rendus de son mari Henri, député monarchiste, mais aussi grâce à la presse, et surtout au Soleil, dont Eric Mension-Rigau cite en notes les articles se rapportant aux faits décrits. Sa dernière source d’information, ce sont ses amis : les rares visites qu’elle fait et les nombreuses qu’elle reçoit. Ses propos dénotent parfois l’antisémitisme et les stéréotypes qu’on retrouve souvent dans les écrits de cette époque : il convient en effet lors des soirées mondaines de «se défendre contre la marée montante des Juifs et des Américains.» Les mariages juifs dans l’aristocratie, qui se justifient par l’apport d’argent, se multiplient. Elle en évoque beaucoup comme celui du duc de Gramont avec Marguerite de Rothschild. On croise également dans les pages du journal Jacques Piou, député monarchiste, avant qu’il ne crée l’Action Libérale populaire en 1901 et ne soit raillé l’Action Française. Le général Boulanger est aussi évoqué en tant que «misérable ministre de la guerre.»

On s’amusera à lire des considérations sur des thèmes qui fourniront à Proust de quoi nourrir la Recherche. L’observation que fait la marquise des femmes du monde qui copient des demi-mondaines, des cocottes, évoque ainsi l’imitation que fait Gilberte de Saint-Loup de la comédienne Rachel, alors maîtresse de son époux. Constance de Breteuil s’essaie aussi souvent aux études de caractère sur des personnages comme la comtesse de Paris, le duc d’Aumale (celui-là même qui fera don du domaine de Chantilly à l’Institut de France) ou les princesses Amélie et Hélène. Car les Breteuil font partie du cercle d’intimes de la famille d’Orléans et ont leur place dans l’aristocratie européenne : le grand-duc Michel de Russie lui rend ainsi visite.

L’édition que donne Eric Mension-Rigau de ce journal s’avère véritablement scientifique : les notes sont abondantes et intéressantes, l’avant-propos est éclairant et l’ouvrage est doté d’un index et d’une bibliographie très utile. On peut noter que la publication s’est faite avec le concours de la Fondation Singer Polignac. Notons également que le journal a été continué par Henri de Breteuil pendant de nombreuses années. Mais les pages écrites par sa femme, spontanées car sa maladie ne lui permettait pas la relecture, et vives, constituent un témoignage unique, et qui a été parfaitement contextualisé.


Marie Cattelain
( Mis en ligne le 01/09/2003 )
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