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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Du fascisme et de sa séduction | | | George L. Mosse La révolution fasciste - Vers une théorie générale du fascisme Seuil - XXe siècle 2003 / 19.50 € - 127.73 ffr. / 266 pages ISBN : 2-02-057285-0 FORMAT : 14 x 21 cm
The Fascist Revolution. Toward a General Theory of Fascism (New York, 1999), traduit de l'américain par Jean-François Sené.
L'auteur du compte-rendu : Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, y poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
Georges L. Mosse (1919-1999) est lun des grands historiens du siècle dernier. Cet Allemand exilé, professeur aux Etats-Unis et en Israël, est reconnu comme lun des très grands spécialistes du fascisme. Ses travaux sur les notions de brutalisation, de culture de guerre (De la Grande Guerre au totalitarisme, Hachette-Pluriel, 2003), lattention portée à lémergence dun culte de la masculinité dans les sociétés modernes (Limage de lhomme. Linvention de la virilité moderne, Pocket, 1999), ont nourri et rénové la recherche dans ces secteurs.
Mosse, au temps du tout économique et social, fut des premiers à pointer du doigt limportance de la culture et des représentations dans lhistoire. Telle est la thèse soutenue et répétée dans la dizaine dessais réunis ici. Tiré darticles publiés sur une trentaine dannées, La Révolution fasciste offre un point de vue encore aujourdhui original sur lémergence et la force du fascisme dans lEurope de lentre-deux-guerres.
Pour lhistorien, la lame de fond fasciste naurait pu avoir un tel impact sans ladhésion des populations. Il interroge ce consensus, la séduction que les fascismes ont exercée sur les Européens, en explorant plus en amont les origines culturelles de cette adhésion. Contre lidée longtemps répandue que les fascismes constituèrent une parenthèse aberrante dans lhistoire européenne, Mosse montre au contraire pourquoi lEurope en fut le berceau et en quoi le fascisme fut le révélateur dune crise de la modernité.
Les structures culturelles du fascisme européen sont centenaires : elles remontent à la fin du XVIIIe siècle. La récupération de la liturgie chrétienne, avec le rôle à interroger du baroque et de son goût pour la théâtralité, est lune de ces matrices cognitives. Une autre est la prégnance dune mystique romantique, antirationnelle, son goût pour un Moyen Age fantasmé, une obsession de lhistoire et lexpression dun primitivisme exaltant les vertus de la terre et du sang, moteurs dun nationalisme fermé.
Le libéralisme et la démocratie ne sont pas en reste. Lun des paradoxes apparents du fascisme est que ce mouvement, initiateur de dictatures totales, exprime dans son essence un souci démocratique. Si le fascisme dénonce la Révolution française, moment de rupture, il est, explique lauteur, un «descendant direct du style politique jacobin» (p. 26) : la notion rousseauiste de volonté générale trouve dans la ritualisation de la politique (défilés, rassemblements, propagande, mythologie, autant de supports d'une nouvelle "religion civile") lune de ses expressions. De manière symbolique, les citoyens, spectateurs/acteurs dun régime qui se met en scène, éprouveraient un sentiment de participation politique dont le parlementarisme leur aurait privé.
Idéologie «ramasse-tout», au temps de la politique de masse, «le fascisme réussit à créer un consensus parce quil annexa les espérances et les désirs qui caractérisaient divers mouvements politiques et intellectuels du XIXe siècle» (p.71). Doù limportance, pour Mosse, de la culture et des mentalités. Lesthétique, bras droit de la politique (pensons à la «politique de la beauté» de dAnnunzio à Fiume), aide cette fascination pour un pouvoir dont plusieurs intellectuels soulignèrent la dimension poétique (Ezra Pound, Brasillach, Primo de Rivera, Gottfried Benn, etc.).
Or, cette esthétique exprimerait une norme profondément ancrée dans les mentalités européennes. La morale bourgeoise du siècle victorien vit ses idéaux sociaux et moraux recyclés dans la dynamique fasciste. Ainsi du culte de la masculinité, renvoyant aux normes esthétiques définies à la fin du XVIIIe siècle par Winckelmann, à partir dune redécouverte de la beauté classique. Ainsi dune quête de stabilité offerte par des Etats dirigistes et policiers contre linstabilité soupçonnée par maints esprits chagrins. «Le traditionalisme du mouvement fasciste coïncidait avec les valeurs morales les plus fondamentales de la société existante. Il fallait que cette révolution fût acceptable» (p. 43).
Ces liens plus ou moins lâches et directs dessinent les contours dun mouvement à la fois révolutionnaire et conservateur, ce qui fit sans doute sa force, mais le destinait aussi à une implosion finale. La dynamique fasciste résulte de ce rassemblement inédit douverture millénariste vers lavenir et de maintien dun fonds traditionaliste. Comme lécrit Mosse : «La tentative visant à combiner avant-garde technologique et technocratique et regard en arrière vers le passé national était donc essentielle» (p. 185). Elle fit dItalo Balbo, grand aviateur, un chevalier des temps modernes.
La réflexion menée par lhistorien, typique de la démarche historiographique anglo-saxonne et allemande, où linterprétation prime parfois sur les faits, est dun apport considérable. Elle mérite certes dêtre nuancée, mais aussi de ne pas être caricaturée à la hâte. En historien, Mosse ne sacrifie pas son devoir de pondération. Sa lecture de lhistoire européenne sur deux siècles est des plus pertinentes. Loin de dérouler des liens aux enchaînements mécaniques, lhistorien éclaire sur le temps long les vingt années de lEurope fasciste. Son approche culturelle se veut un complément et non un substitut à lhistoire politique, diplomatique et socio-économique. En outre, il montre bien les différences, essentielles, entre le national-socialisme allemand, profondément marqué par la tradition völkisch, et un fascisme italien plus influencé par lidéalisme hégélien et un libéralisme lui permettant une ouverture plus franche. De même, sil défend lidée dun consensus initial ayant autorisé son succès, il ne dénie pas lévolution du fascisme vers lautoritarisme et la terreur. Enfin, son inspection des origines sourdes et lointaines du fascisme au XIXe siècle, lui permettent dexhumer des phénomènes méconnus tel le kampfbühne, «théâtre de combat» qui, dès le XIXe siècle en Allemagne, exprima cette volonté de rassemblement des masses.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 29/09/2003 ) Imprimer
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