| Gilles Laurendon Laurence Laurendon Au temps des leçons de choses... Calmann-Lévy 2003 / 42 € - 275.1 ffr. / 240 pages ISBN : 2-7021-3365-7 FORMAT : 22x28 cm Imprimer
Alors que le «malaise scolaire» devient le nouveau chou gras des médias, Laurence et Gilles Laurendon nous offrent une bouffée doxygène. Au temps des leçons de choses
est comme une plongée nouvelle dans la bulle placentaire de nos enfances. Lidée de ce superbe ouvrage est excellente : rappeler les bancs des écoles, lodeur proustienne du bois et de la craie, des ambiances lointaines, presque floues, tellement floues quon les croirait fantasmes, images dEpinal pas vraiment vécues
Bref, un beau rappel à lordre, photos à lappui, du même éclat que le film de Nicolas Philibert, Être et avoir.
Les auteurs surfent dailleurs sur la vague de la crise de léducation. En rappelant le temps doré de lécole républicaine, ils évoquent en contre-jour celui, plus terne et chagrin, qui fait lactualité. Les dernières pages en appellent dailleurs à une renaissance des leçons de choses.
Celles-ci font leur apparition officielle dans le sillage des grandes lois scolaires de Jules Ferry ; par larrêté du 27 juillet 1882, lenseignement des sciences devient obligatoire. Marie Pape-Carpentier avait déjà évoqué les «leçons de choses» devant un auditoire réunissant trois mille instituteurs, en 1867, durant lexposition universelle.
Ces leçons particulières sont une invite à une école buissonnière autorisée, sous le magistère de ceux quon appelait alors des instituteurs. Ils sont aujourdhui des professeurs des écoles. Sous lautorité de Ferry, de Ferdinand Buisson, du Tour de la France par deux enfants, best-seller de G. Bruno, cest tout un catéchisme laïque et républicain qui se met en place. En aiguisant la curiosité des futurs citoyens, les «hussards noirs de la République» luttent contre lobscurantisme de la religion.
Sur le terrain, cette intention politique se traduit merveilleusement en une «échappée belle» : dans une France encore largement rurale, les leçons de choses permettent des escapades et le plaisir de la découverte, dune curiosité guidée vers la science. Nous sommes à lépoque de Pasteur et des Curie : le scientisme est la nouvelle religion dEtat. Dans la salle de classe, cette fringale de savoir sincarne dans des planches didactiques, des appareils de mesures aussi beaux quutiles (le compendium métrique !), un aquarium où lon suit la métamorphose des têtards, la danse de goujons, et des vitrines où, au fil dune carrière, linstituteur accumule et classe avec ses élèves des collections de coléoptères, cristaux et coquillages
Des herbiers et les richesses de jardins scolaires complètent cet arsenal scientifique, véritable antichambre de lencyclopédisme.
Louvrage de Laurence et Gilles Laurendon retranscrit parfaitement ces ambiances. Les photographies de Marc Walter se mêlent au texte, brillamment documenté, aux photos sépia et nostalgiques des classes de la «Belle Epoque». On comprend que cette école curieuse et disciplinée, vertueuse et patriotique, depuis un certain mois de mai, est entrée dans lhistoire, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : labandon dune rigueur quasi militaire et dun certain endoctrinement. Le pire : des séances champêtres disparues dans la France de la modernité, des herbiers empoussiérés, la fin de ces jolies promenades à la découverte de la nature et de lindustrie, de linfiniment petit et de linfiniment grand
Le trait mélancolique est ici, peut-être, un peu trop noirci. Si les «leçons de choses» ont vécu, léveil des sens, lattisement de la curiosité enfantine, sont restés au programme. o tempora, o mores, les choses ont simplement changé : à lère de laudiovisuel, on apprend aussi beaucoup devant une lucarne, sans que les jolies cartes et les cristaux brillants, les pois en germes et les poissons rouges aient abandonné les salles de classe.
Au temps des leçons de choses
nen est pas moins un livre magnifique. Laccent passéiste ajoute dailleurs au plaisir de la lecture. On retrouve la plume de Gilles Laurendon, fluide, comme un appel au bonheur de vivre, aux joies simples de la vie. A une époque où la nostalgie est devenue un argument de vente, cet ouvrage offre plus sérieusement une virée désaltérante vers lauthentique.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 08/10/2003 ) Imprimer
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