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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

La Caisse des dépôts et consignations, un instrument de la spoliation des biens juifs
Michel Margairaz   Alya Aglan   Philippe Verheyde    collectif   La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le XXe siècle
Albin Michel - Bibliothèque Histoire 2003 /  32 € - 209.6 ffr. / 670 pages
ISBN : 2-226-13629-0
FORMAT : 15x23 cm

L’auteur du compte rendu : Éric Alary, agrégé d’histoire, Docteur ès Lettres de l’IEP de Paris –thèse sur la ligne de démarcation publiée en 2003 chez Perrin-, professeur en Lettres Supérieures et en Première Supérieure au lycée Camille Guérin de Poitiers, est chercheur associé au CHEVS/ FNSP.
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Après les travaux pionniers de Philippe Verheyde sur l’aryanisation économique en France et la mission Mattéoli, d’autres recherches ont pu avancer de façon décisive, notamment celle qui porte sur le comportement de la Caisse des dépôts et consignations sous l’occupation. Des cartons d’archives inexplorés ont été inventoriés, puis mis à la disposition des historiens.

La Caisse des dépôts et consignations est très mal connue par l’ensemble des Français, alors qu’elle constitue un rouage essentiel de l’économie française. Les archives ouvertes récemment à la Caisse permettent de suivre pas à pas les circuits de la spoliation des biens juifs en France. Les meilleurs historiens français, spécialistes de l’histoire économique et de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ont choisi d’y consacrer de longues recherches, afin de les réunir et de les confronter lors d’un colloque tenu à la fin de novembre 2001.

L’histoire de la Caisse des dépôts et consignations pendant l’occupation est envisagée sur un temps moyen qui dépasse les bornes chronologiques de la guerre ; le choix a été fait de privilégier une histoire qui commence au début du XXe siècle et qui s’achève dans les années cinquante. Les actes publiés par Albin Michel font également ressortir une approche comparative fort éclairante : des communications s’attachent à étudier d’autres institutions similaires à la Caisse et dans les pays de l’Axe, dans plusieurs pays occupés (Hollande et Belgique) ; la Suisse est également étudiée, car des transactions très importantes d’argent français ont été opérées dans ses banques. Cela permet de comprendre les logiques de spoliations dans l’ensemble de l’Europe pendant les années noires. L’ouvrage collectif s’attache donc à observer une histoire économique et financière, mais aussi une histoire politique et sociale aux conséquences parfois tragiques.

La première partie permet de comprendre ce que furent les missions de la Caisse des dépôts et consignations, créée en 1816, et comment elle maintint l’équilibre de ses finances, ce dans la première moitié du XXe siècle. 70% des ressources de la Caisse proviennent de l’épargne entre 1930 et 1950. Les dépôts et consignations n’en représentent plus que 10 à 20%. Ces dernières ne sont plus très importantes en proportion. Toutefois, en valeur absolue, elles constituent des montants considérables. Les consignations «juives» n’ont pas eu un poids énorme sous l’occupation dans la totalité du portefeuille de la Caisse, mais elles ont généré un surcroît de travail. Par ailleurs, la Caisse a prêté de plus en plus à destination de l’habitat social dans les années 1950, et s’est détournée peu à peu des prêts aux collectivités locales (90% en 1930 et 30% en 1950). Globalement, pour l’institution, la période qui s’étend de 1938 à 1950 est celle d’un long sommeil en matière financière. Les banquiers français et les dirigeants de la Caisse ne s’apprécient guère : les premiers accusent les seconds de mener une concurrence déloyale. La Caisse devient la banque des banques en ce qui concerne les opérations de crédit à moyen terme au bénéfice des plus importantes entreprises industrielles. Plusieurs études de cas complètent l’analyse générale de la partie qui ouvre le livre: sur le Trésor et l’économie en Italie des années trente, le système financier belge, les ressources de la Caisse en épargne et prévoyance, la Caisse face à la politique du logement en France.

Cela permet de comprendre au mieux les deuxième et troisième parties. D’abord, l’étude de la Caisse sous l’occupation est sans concession : l’institution, dont l’histoire est tombée dans l’oubli depuis 1945, a joué un rôle de premier plan dans la spoliation des juifs de France, ce comme instrument de la politique menée par le régime de Vichy. Les historiens s’évertuent à en décortiquer les mécanismes compliqués avec une très grande rigueur. Vichy a tenté d’empêcher les nazis de «dévorer» tous les avoirs financiers juifs en France occupée. Xavier Vallat, le premier commissaire général aux questions juives, a prévu d’abord de «consigner» les biens juifs avant de savoir ce que le régime pouvait en faire. La Caisse a exécuté la loi du 22 juillet 1941 –qui impose les spoliations- même si ses dirigeants ont, comme dans d’autres institutions publiques, tenté de sauver de l’exclusion ses personnels. Ils furent plus efficaces en ce qui concerne la recherche d’échappatoires aux employés requis par le STO, à partir de février 1943. La Caisse a pourtant mis à la disposition de l’Etat des fonds privés «consignés» alors qu’une loi de 1816 l’a toujours empêchée de le faire. En décembre 1941, pour payer une partie de l’amende d’un milliard imposée aux juifs de la zone nord, après les premiers attentats contre les soldats de la Wehrmacht, la spoliation est justifiée selon les instances de la Caisse. Pour autant, l’épuration fut très limitée au sein de la Caisse au moment de la Libération. L’oubli fut facilité parce que la Caisse avait un rôle à jouer dans les mutations économiques des années cinquante ; notons aussi que les débuts de la Guerre froide ont permis d’oublier encore plus vite le rôle de l’institution sous l’occupation.

Enfin, l’étude comparative avec d’autres modèles étrangers permet dans une ultime partie de montrer la spoliation des biens juifs à l’échelle européenne. En Allemagne et en Italie, il y a des similitudes avec la spoliation française, mais les logiques semblent différentes. La France s’engage sur la voie de la spoliation après les premières mesures allemandes; en Italie, la spoliation est «souveraine». Aux Pays-Bas, les spoliations sont d’ampleur, car le gouvernement est civil et non militaire comme en France. En Belgique, les méthodes de spoliation furent autres. En Suisse «neutre», les banques, autonomes, n’ont pas participé à la collaboration française, mais elles ont été entraînées dans la spirale de l’accommodation. Ceci dit, des milliers d’avoirs juifs ont été déposés en Suisse, laquelle a été très épargnée par la clémence des alliés envers les Etats neutres au moment de la Libération.

Au total, les spoliations ont différé en fonction des régimes d’occupation, assez différents d’un Etat à l’autre. En France, la Caisse des dépôts et consignations a adopté des attitudes similaires à celles de la Banque de France, par exemple : suivre la politique de Vichy jusqu’en 1942, puis commencer à observer une période plus attentiste. Dans tous les cas, la Caisse, tantôt banque tantôt service public, adopte des solutions souvent ambivalentes. L’ouvrage est complété par des graphiques et des tableaux statistiques originaux, mais aussi par une précieuse annexe méthodologique, un inventaire succinct des fonds de la Caisse, une chronologie des spoliations internes à la Caisse et enfin, un index. En histoire économique et financière de la première moitié du XXe siècle, c’est un ouvrage incontournable.


Eric Alary
( Mis en ligne le 10/11/2003 )
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