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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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L’Allemagne à l’heure nazie | | | Robert Gellately Avec Hitler - Les Allemands et leur führer Flammarion 2003 / 26 € - 170.3 ffr. / 450 pages ISBN : 2-08-210105-3 FORMAT : 15x24 cm
L'auteur du compte-rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Depuis quelques années, dans la foulée des travaux de Ian Kershaw sur lopinion allemande (bavaroise en particulier) sous le nazisme, nombre dhistoriens ont entrepris de revisiter cet aspect de lhistoire allemande. Des ouvrages, au ton parfois plus polémique que scientifique, entendent ainsi démontrer la coresponsabilité, voire la culpabilité des Allemands en tant que nation : à cet égard, Daniel J. Goldhagen fait figure de procureur le plus intransigeant, sinon le plus inspiré. Louvrage de Robert Gellately, professeur à la Clark University, et auteur dune étude sur la Gestapo, sinscrit dans cette tendance (sans les excès du précédent), à partir dun choix darchives spécifique, la presse et les fonds des divers services de police. Lobjectif est détablir une version allemande des «années de consensus» dont parle Renzo de Felice au sujet de la population italienne sous le fascisme dans les années 30, cest à dire de démontrer ladhésion progressive de la population aux idéaux et aux desseins du régime.
Lintroduction, au ton très personnel et assuré, permet à R. Gellately de poser nettement sa problématique, et de se positionner dans une historiographie récente (I. Kershaw, Daniel J. Goldhagen
), mais quasiment anglo-saxonne, ce qui est regrettable. Lidée générale est que lopinion, évoluant avec le régime, est passée de lattentisme à laccommodement (pour reprendre ce concept fondateur de Philippe Burrin), soutenant un pouvoir moins anarchique que dans les années vingt et détournant les yeux de certaines exactions
Or le fonctionnement de la «justice» nazie est au cur des réflexions de lauteur.
Dans un premier temps, R. Gellately examine la conquête du pouvoir et souligne la volonté de rupture affichée avec Weimar, rupture qui sincarne dans la «révolution nazie». Lun des thèmes de cette rupture est la restauration de lordre
mais dun ordre qui très rapidement se nazifie. Dans ce but, Hitler se présente comme le restaurateur dune Allemagne policée. En spécialiste de la justice sous le IIIe Reich, R. Gellately livre une analyse synthétique du système judiciaire allemand (tribunaux, forces de police diverses dont la Gestapo et la Kripo) réaménagé par Himmler, ainsi que des «innovations» du régime hitlérien en terme de droit criminel dans un idéal de «purification» de la société, idéal largement expliqué dans la presse : nul nest censé ignorer les nouveaux enjeux de la loi
Dans cette logique de médiatisation de la justice et de lordre nazi, les camps de concentration occupent une place bien particulière, comme institutions symboliques du nouveau pouvoir. Aussi lauteur leur accorde-t-il une place importante dans ses développements. «Au moins navons-nous pas dressé de guillotine» déclare Hitler, faussement rassurant, à la presse : après une première phase dinternements dennemis, largement popularisée, Hitler annonce dès 1934 la fermeture de nombreux camps, mais le mouvement repart de plus belle en 1935, avec une organisation sinistrement perfectionnée dans les mains de la SS. Peu à peu, lexpression «camp de concentration» (et le destin des «internés») perd toute ambiguïté... la discrétion de la presse va alors de pair avec celle de la population : la tranquillité desprit réside dans le silence.
Il sagit désormais dinterner non plus les «ennemis politiques», mais les «asociaux» et autres «marginaux». La presse est là pour expliquer et légitimer cette politique. En effet, cest dans la définition juridique des «ennemis de race» et des «inaptes à la vie communautaire» que le droit nazi innove le plus et montre ses capacités de généralisation expéditive, jusquau principe de leuthanasie. Certaines vies «ne valent pas la peine dêtre vécues» et lappareil policier nazi, simposant aux juges eux-mêmes (mais Hitler na pas grande estime pour le droit et ses interprètes), se charge de suppléer aux largesses du Destin. La mort est déjà leur métier !
R. Gellately montre également le rôle essentiel de la presse dans lélaboration dun consensus populaire, consensus dautant plus nécessaire à forger que la guerre fait partie de lhorizon allemand, une fois le «front intérieur» disparu avec lélimination des «ennemis intérieurs». Dans cet ordre didée, la justice déjà puissante se raidit encore, avec à sa tête un führer érigé en «juge suprême», sans autres limites que sa volonté. Lauteur montre notamment, statistiques à lappui, lévolution de la peine de mort et de la criminalité, thèmes conjoints dune guerre contre le crime que le régime déclare, avec un certain optimisme, avoir gagné.
Le cas des juifs est traité à part : au cur de lidéologie nazie, lantisémitisme est toutefois lobjet dune adaptation qui suit les contours et les évolutions de lopinion publique. R. Gellately évoque linstallation progressive de la politique de persécution pour montrer les adhésions, mais aussi les pratiques de résistance (comme la Rose Blanche) au sein dune population divisée. De même, il met en lumière le traitement infligé aux populations étrangères forcées de travailler dans le Reich (en particulier les Polonais), dilemme pour un régime qui a besoin de bras et pratique le recrutement forcé, mais dont la doctrine rejette les éléments «étrangers» hors du territoire national. Linstauration dun statut particulier et dune justice adéquate, parfois doublée dune justice «populaire» sauvage, met en lumière des tragédies oubliées. Remarquons que, par ailleurs, les camps de concentration sont également de grands pourvoyeurs de travailleurs forcés
avant dautres destinations.
Au final, louvrage de R. Gellately constitue une fort bonne synthèse de la justice et des services de police sous le IIIe Reich, sous la plume dun spécialiste. Les développements quil consacre aux sanctions (de linternement à la peine de mort
) et aux criminels (ou prétendus tels : asociaux, marginaux, ennemis de la nation, travailleurs forcés
) éclairent les pratiques judiciaires du totalitarisme nazi, ainsi que les rapports tissés entre la société et lÉtat. En particulier, linstitution des camps de concentration est largement étudiée, des prémices jusquà lécroulement final. Le lecteur pourra être surpris par un style décriture parfois expéditif et des généralisations excessives (jusque dans le traitement de certaines sources) qui mériteraient dêtre nuancées. Ce ne sont là que des défauts mineurs au regard de lintérêt de louvrage, qui offre du IIIe Reich une vision originale et intéressante.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 26/11/2003 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Hitler. 1889-1936 : Hubris de Ian Kershaw La Résistance allemande contre Hitler. 1933-1945 de Barbara Koehn | | |
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