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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Réflexions sur un ''siècle qui finit mal'' | | | Eric J. Hobsbawm L'Âge des extrêmes - Le Court Vingtième Siècle 1914-1991 Complexe - Historiques 2003 / 11.60 € - 75.98 ffr. / 810 pages ISBN : 2-87027-992-2 FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage paru une première fois en France en 1999 (Complexe).
Lauteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques, Antoine Picardat a été chargé de cours à lInstitut catholique de Paris et analyste de politique internationale au Ministère de la Défense. Il est actuellement ATER à lIEP de Lille. Imprimer
La réédition de Lâge des extrêmes est loccasion de découvrir un monument, en même temps quun bel exemple de réflexion historique pas tout à fait conformiste.
Dès la préface, Hobsbawm expose les termes du débat. Dès sa sortie en 1993, Lâge des extrêmes fut salué dans le monde entier comme une analyse remarquable de lhistoire du XXe siècle. Pourtant, il a fallu attendre six ans pour que son ouvrage soit traduit et publié en français. Pourquoi ? Selon lui parce quil y écrit des choses quon ne veut plus lire en France. Les goûts intellectuels français auraient conduit une sorte de censure à sappliquer à son livre. Le pays qui a fait un triomphe au Passé dune illusion aurait refusé de lire Lâge des extrêmes. Peut-être. En tout cas, maintenant que nous lavons en main, nous pouvons juger sur pièce de son contenu.
Il sagit donc dun monument. Monument par la taille dabord : 810 pages, une introduction, trois parties et dix neuf chapitres qui traitent de politiques internationales, de guerres, de régimes politiques, de systèmes économiques, dévolutions sociales et darts. Ensuite, un monument par ladmiration dont le livre a été lobjet, au Monde diplomatique, à Libération et dans dautre temples du conformisme bien pensant. Enfin, un ouvrage important, qui a soulevé suffisamment dintérêt pour que Le Débat lui consacre un dossier (n° 93, janvier/février 1997).
Lâge des extrêmes ne se veut ni un essai, ni un manuel, mais une réflexion sur le court XXe siècle, qui va de la Première Guerre mondiale à la chute de lURSS. Quen est-il vraiment ? Ce nest certes pas un manuel. Linformation est remarquablement précise, mais elle nest pas exposée de manière didactique. Les faits sont suggérés plutôt quexpliqués. Le sens est privilégié par rapport aux événements. Non que ceux-ci soient absents, mais ils ne constituent pas la base de louvrage. Ils en alimentent la réflexion et le lecteur ne fait quapercevoir la cuisine. Tant mieux ! Assez de manuels, indispensables mais qui ressassent des faits connus de tous.
Lidée générale de Hobsbawm est très convenue : le XXe siècle a été un siècle tragique. Deux périodes sombres encadrent une éclaircie. Guerres mondiales, troubles révolutionnaires et cataclysmes économiques et monétaires se succèdent de 1914 à 1945. La période qui souvre en 1991 est, selon lui, lourde dincertitudes. Toutes les promesses dont léclaircie commencée en 1945 semblait porteuse sont remises en cause : difficultés économiques et sociales, dérèglements planétaires, conflits dégénérés, désordre international semblent simposer comme les successeurs des trompeuses "Trente glorieuses". Alors que le XIXe siècle avait semblé marquer le triomphe du progrès de lintelligence et de lhumanisme, le XXe aurait sacrifié cet héritage. En témoignent les violences contre les civils au cours de tous les conflits postérieurs à 1918, les totalitarismes ou lusage néfaste des progrès scientifiques. Pour illustrer cette idée générale, à laquelle on est libre de souscrire, Hobsbawm parcourt le siècle avec une aisance et une érudition remarquables, sans être toutefois exceptionnelles à ce niveau.
Derrière cette idée générale, facile à déceler, il y en a une autre, qui nous ramène à la polémique présentée dans la préface et rappelée ci-dessus. Hobsbawm compare son livre au Passé dune illusion, pour aussitôt réfuter le bien fondé dun tel parallèle. Si le projet des deux ouvrages était en effet différent, une réflexion sur le XXe siècle chez Hobsbawm, une réflexion sur lidée communiste au XXe siècle chez Furet, la comparaison nest cependant pas sans objet. François Furet avait énoncé une implacable critique du communisme au XXe siècle, de son contenu et de ses pratiques. Il prédisait cependant en conclusion «que cette vaste faillite continuera à jouir dans lopinion du monde de circonstances atténuantes, et connaîtra peut-être un renouveau dadmiration». Hobsbawm illustre cette tendresse mêlée dadmiration, à la fois pour lidée révolutionnaire et pour lidée communiste. Il estime certes (pp.27-28) que la victoire du communisme en URSS, puis lascension de cette dernière au rang de superpuissance, doivent plus au hasard des circonstances quaux nécessités du matérialisme historique. Mais, sil condamne clairement le stalinisme, bien quil nentre pas trop dans les détails de ses crimes, la critique est moins nette, la compréhension est proche dès que lon aborde les heures de gloire, ou supposées telles, du mouvement communiste. Ainsi (p.97), il réchauffe le vieux plat de la dictature léniniste, fruit des événements : «(
) les mesures nécessaires furent prises lune après lautre. Lorsque la nouvelle république soviétique sortit de ses épreuves, ce fut pour sapercevoir quelle sétait engagée dans une direction très éloignée de celle à laquelle pensait Lénine à la gare de Finlande». Inusable rhétorique du mal involontaire ! Du bien pervertit par les forces extérieures ou par la volonté de quelques individus !
Les mêmes interprétations, politiquement marquées, se retrouvent à propos de lantifascisme des années 1934 à 1945, en enjambant le Pacte de 1939, ou à propos du progrès social dans les sociétés libérales des "Trente glorieuses".
Où est le mal à cela ? Nulle part. La qualité de la réflexion en souffre-t-elle ? Non. Quoi alors ? Alors rien. Rien en effet. Hobsbawm est un grand érudit, qui réfléchit longuement sur un siècle complexe, quil a de plus pour lessentiel vécu. Pas plus que quiconque, il ne peut être objectif. Sa réflexion est pertinente, lucide et mesurée. Il est sans doute nostalgique dune pureté révolutionnaire, dun idéal lénino-trotskiste qui na existé que dans limagination de ses partisans. Ce parti-pris colore son propos mais ne le dénature pas. Il oblige le lecteur à un effort de réflexion pour corriger la dérive lorsque le besoin sen fait sentir. Cest très bien.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 01/03/2004 ) Imprimer
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