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Les heures sombres de la Ville Lumière
Simone Delattre   Les Douze heures noires - La nuit à Paris au XIXe siècle
Albin Michel - L'évolution de l'humanité 2004 /  25 € - 163.75 ffr. / 852 pages
ISBN : 2-226-14236-3
FORMAT : 13x19 cm
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Un monde d'allumeurs de réverbères et de chiffonniers, de filles de joie et de gardes municipaux, de noctambules et d'"escarpes" : Simone Delattre donne à voir avec talent les ombres du Paris nocturne du XIXe siècle, fugitives ou ostentatoires, menaçantes ou triomphantes. Les nuits parisiennes des contemporains d'Eugène Sue et de Victor Hugo sont l'objet de ce livre, objet démesuré, magique, centré ici sur les usages sociaux dont elles sont le théâtre, et singulièrement sur ces rues que les travaux d'Arlette Farge nous avaient déjà rendu familières pour le XVIIIe siècle diurne. Dans un livre toujours subtil, érudit et sensible, l'auteur souligne comment les mythes contradictoires d'une nuit envahie par le crime et le secret, et d'une nuit hédoniste et pacifiée contribuent à façonner l'image en clair-obscur d'une capitale unique en son genre. Paris, à la différence des villes de province, mais aussi d'autres capitales européennes du XIXe siècle, se révélait dans ses nuits, dévoilait ses contradictions et sa fragilité autant que ses vitrines de ville-lumière.

A l'origine de cet ouvrage, il y a l'intuition que le XIXe siècle parisien verrait disparaître un ancien régime nocturne, incarnation quotidienne de l'enfer, contre laquelle la cité se prémunissait par la clôture et le couvre-feu. Une disparition achevée par la révolution hausmannienne, qui abolit les limites de la nuit, et fait accéder l'individu aux plaisirs des sens et de l'esprit dans la lumière et la paix civile. Pour tester cette hypothèse, l'auteur convoque toutes sortes de sources, littérature pittoresque ou fictionnelle, archives de police, et archives judiciaires. Simone Delattre concentre son étude sur un XIXe siècle resserré, des monarchies censitaires au Second Empire, avec une prédilection pour les nuits de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, dont les traces semblent mieux conservées. Cet échantillon de sources lui permet d'osciller sans cesse entre pratiques et représentations, de dégager les anticipations ou les retards des unes sur les autres, d'en souligner les interactions. Il y a là du très neuf et du très stimulant. Le parcours proposé est une traversée pointilliste des nuits de Paris, adoptant tour à tour le point de vue du panorama et du labyrinthe. Ces variations de point de vue permettent toujours de nuancer les idées reçues, et d'affiner l'hypothèse initiale.

On nous montre d'abord les progrès de l'éclairage public, à l'huile puis au gaz, surtout à partir des années 1830, et leurs cortèges d'allumeurs plus ou moins pittoresques. Mais c'est aussitôt pour opposer aux "lumières séductrices" des passages, des jardins Tivoli ou Mabille, les ténèbres du Paris populaire et périphérique. Quant au noctambulisme, il entremêle des expériences très différentes, et des espaces plus ou moins disséminés. Si les plaisirs d'élite sont très concentrés autour des Boulevards, des Halles centrales, du Palais-Royal et des Tuileries, les nuits populaires, quand elles existent, se déploient dans des débits de boissons, cabarets ou estaminets, répartis un peu partout dans la ville, avec quelques points chauds que furent le boulevard du Crime sous la Monarchie de Juillet, ou les barrières avant l'extension de Paris en 1860.

Mais Simone Delattre nous dit aussi tout ce que la nuit recèle de milliers de petits travailleurs, plus ou moins nomades, plus ou moins intégrés, des fameux chiffonniers aux vidangeurs, des maraîchers venus approvisionner les Halles aux balayeurs. Elle nous fait entendre, à la suite de Zola, les milliers de voitures de paysans, maraîchers ou laitières entrant dans Paris la nuit ; elle nous fait voir le chiffonnier, avec sa lanterne portative, grappiller les rebuts de la grande ville dans sa grande hotte, et côtoyer les "réveilleurs" sillonnant Paris pour rappeler l'heure du lever aux travailleurs les plus matinaux, et l'on sent là prendre chair au fil des pages un Paris enseveli, devenu déjà archaïque au début de la Troisième République. Les modalités du contrôle nocturne de la ville sont également examinées, de la ronde de nuit aux patrouilles de quartier, de la brigade de sûreté d'un Vidocq aux sergents de ville en uniforme. Si la rationalisation des techniques est évidente au cours du siècle, les thèses panoptiques d'un quadrillage régulier de l'espace, héritées de Michel Foucault, en sortent fortement nuancées.

Divertissement, recyclage, surveillance : la nuit régénère, restaure, prépare le jour. Elle en est aussi le contrepoint ténébreux, avec son cortège d'arrestations, de tapages, de déambulations suspectes, ses violences et ses dérèglements. "Soupçons" et "bas-fonds" forment les deux dernières parties de l'ouvrage, livrant les clés de compréhension et de représentation de la part d'ombre cachée par le Paris diurne. Ce sont les parties que les "goûteurs" d'archives mettront au sommet du livre, et qui renouvellent les pistes tracées par le livre pionnier de Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses. A partir de statistiques d'arrestations nocturnes et de récits en forme de "tranches de vies", prend forme toute une nuit fragile, clandestine, illicite. Les vagabonds urbains, en quête d'asile pour la nuit sous un pont, dans une carrière, un jardinet, un four à chaux, un garni clandestin ou un cabaret ouvert toute la nuit, étaient légion dans le Paris du premier XIXe siècle. Simone Delattre brosse le portrait-type de l'individu arrêté la nuit. Elle nous montre un peuple errant, titubant, tapageur et frondeur. La nuit, si elle n'est guère le réceptacle de l'émeute, favorise les dissidences, les cris et placards séditieux, surtout sécrète des rixes en tous genres, près des barrières, du Palais-Royal, des débits de boisson.. Elle consacre des pages plus attendues mais passionnantes sur les formes de la prostitution nocturne et l'influence des visées règlementaristes sur les rues "fauves" du XIXe siècle.

Les crises d'anxiété collective qui agitèrent les nuits de Paris ne concernaient pourtant pas toutes ces déviances, mais bel et bien la peur du crime, de l'"attaque nocturne", dérivant très tôt vers l'imaginaire, mais appuyée sur une chronique judiciaire bien nourrie. C'est ici que l'étude croisée des représentations et des faits de violence prend le plus de force. Le tableau des bas-fonds laisse aussi entrevoir derrière le délit, sa peine, de plus en plus dérobée aux regards au fil du siècle, à savoir l'exécution capitale, toujours accomplie dans le secret des nuits. Et l'on referme ce beau livre avec le sentiment d'avoir arraché des lambeaux d'un Paris inédit, éclaté en mille histoires jusque là disséminées en spécialités cloisonnées, et mieux compris la société post-révolutionnaire dans son ensemble.


Emmanuel Fureix
( Mis en ligne le 02/04/2004 )
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