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Le difficile sacre de l'écrivain catholique | | | Hervé Serry Naissance de l'intellectuel catholique La Découverte - L'espace de l'histoire 2004 / 26 € - 170.3 ffr. / 371 pages ISBN : 2-7071-3985-8 FORMAT : 14x22 cm
L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France, Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque".
© La Revue Historique (article à paraître). Imprimer
Jusquà une période récente, lhistoire et la sociologie culturelles sétaient peu penchées sur le monde catholique en France. Dans la foulée des travaux dEtienne Fouilloux et de Denis Pelletier, Hervé Serry, sociologue, a apporté une contribution décisive à ce tournant historiographique avec une thèse consacrée à la figure de lintellectuel catholique et aux modalités de sa consécration au XXe siècle. Car Emmanuel Mounier et sa revue Esprit sont le fruit dune longue préhistoire remontant aux engagements dun Chateaubriand ou dun Veuillot un siècle plus tôt, et dun «moment» matriciel, situé, explique lauteur du présent ouvrage, entre les années 1910 et 1930, temps de la «renaissance littéraire catholique».
Paradoxalement, lhistoire ici décrite est celle déchecs successifs mais utiles à lémergence de lintellectuel catholique. Dans une approche sociologique tributaire des outils méthodologiques et conceptuels élaborés par Pierre Bourdieu, très attentive donc aux questions de champ et de stratégies littéraires, Hervé Serry livre une étude serrée des réseaux en question, fondée sur une prosopographie - ou biographie collective - de 70 écrivains catholiques, et la consultation de nombreux périodiques et darchives privées (Francis Jammes, les Maritain, Maurice Vaussard, Paul Cazin, René Johannet, etc.) comme institutionnelles (Diocèse de Paris, Institut Catholique de Paris, Compagnie de Jésus, Archives dominicaines du Saulchoir, Société des Gens de Lettres, etc.). Lensemble forme une analyse rigoureuse, stimulante et claire, suivant un plan légitimement chronologique.
La renaissance littéraire est le fait dune génération particulière, née dans les années 1880 et donc socialisée à des moments critiques daffrontement des deux France : lAffaire Dreyfus et les conséquences de la loi de Séparation de lEglise et de lEtat. Formés à la culture la plus classique, souvent passés par le séminaire et tentés par une carrière sacerdotale, ces jeunes gens, empreints dun sentiment de déclin les portant vers une défense de la tradition, vivent lengagement au nom de lEglise comme un «catalyseur identitaire», dans un contexte dautonomisation du champ littéraire et de pullulement des revues de lettres. Mais le «sacre de lécrivain» semble devoir attendre pour les thuriféraires de la sacralité car, en ces années charnières, tout discours sur lEglise et la religion doit passer par lautorité ecclésiale. Là est le paradoxe et, finalement, limpossibilité dêtre, de jeunes écrivains dévoués à la défense de la religion tout en ne voulant pas être confondus avec lEglise qui, de son côté, prête à montrer patte blanche à une certaine modernité, refuse catégoriquement de se laisser contaminer par elle.
Cest des débats nés de ces oppositions structurelles que lintellectuel catholique, au fil de trois décennies, trouve finalement les moyens de porter un message catholique affranchi de linstitution, au terme dun temps long ayant, depuis la Révolution, opposé clercs et laïcs, avec une faveur accrue pour ces derniers.
Après quun panorama remontant au début du XIXe siècle installe un contexte, les chapitres suivants développent les moments forts de la renaissance littéraire catholique. Les Cahiers de lAmitié de France (1910-1914), avec des personnalités comme Robert Vallery-Radot, François Mauriac ou Eusèbe de Brémond dArs, constituent une difficile collaboration entre ces jeunes plumes et les dominicains. Les Lettres de Gaëtan Bernoville, dans les années vingt, rassemblent toutes les tendances du laïcat catholique et fondent un projet littéraire abouti, plus libre du contrôle religieux, et dont La Semaine des écrivains catholiques, événement des sociabilités intellectuelles catholiques émergeantes, émane à partir de 1921. La condamnation de lAction française en 1926 bouleverse évidemment ce champ avec la question, clairement posée à de nombreux intellectuels, de la subordination à lEglise et du rapport entre politique et religion. Mauriac, Bernanos et Maritain sont de ceux qui émettent très vite une critique à légard de linstitution, ce qui nempêche pas ce dernier doccuper en grande partie le vide laissé par Maurras (voir Primauté du spirituel), préparant ainsi le terrain aux «non-conformistes» des années trente. La revue Vigile, autour de Mauriac et Charles du Bos, est le dernier exemple choisi par Hervé Serry au début des années trente pour illustrer son propos.
Celui-ci ne se résume pas à ces quelques cas détudes. Naissance de lintellectuel catholique est un panorama large de la vie intellectuelle française du premier tiers du XXe siècle. Impossible en effet de faire léconomie de pôles idéologiques et littéraires tels que lAction française et la NRF, ni des autres groupements catholiques de la période : La Coopérative de prières et la Fraternité du Saint-Sacrement, les Ateliers dArts sacrés (Maurice Denis), la Confédération Professionnelle des Intellectuels catholiques, ou des moments comme laffaire de la Jeanne dArc de Joseph Delteil et les débats autour de la conversion de Barrès, sont dautres exemples dessinant les contours dun microcosme littéraire catholique, partie prenante du champ littéraire de lépoque. Forte de ces premières tentatives et combats, la génération cadette, de ceux nés entre 1895 et 1905, entrera à la décennie suivante sur un terrain balisé, où ils pourront construire.
Le présent ouvrage ne relève évidemment pas de lhistoire des idées et, fidèle à son projet sociologique et lattention portée aux structures, il offre une schématisation convaincante des rapports de forces et des mécanismes sous-jacents à lémergence dune figure intellectuelle particulière, sans que lauteur nait jamais fait léconomie de la lecture des productions écrites. Cest un remarquable exemple détude de réseaux dont les mérites épistémologiques ne devraient plus être à prouver.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 01/12/2004 ) Imprimer
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