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Les limites de la solidarité nationale | | | Philippe Nivet Les Réfugiés français de la Grande guerre - Les Boches du Nord Economica - Hautes études militaires 2004 / 49 € - 320.95 ffr. / 598 pages ISBN : 2-7178-4813-4 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II. Imprimer
La question des réfugiés français de la Seconde Guerre mondiale a fait lobjet de nombreuses études : lexode de 1940, lévacuation des civils pendant les combats de la Libération nous sont aujourdhui assez bien connus. Tout, ou presque, en revanche restait à faire en ce qui concerne les déplacements de populations en France au cours de la Première Guerre mondiale. Sans doute le sujet est-il régulièrement évoqué par des articles publiés dans des revues dhistoire locale des départements dune large frange Nord-Est de la France - et par Annette Becker dans ses Oubliés de la Grande Guerre (éditions Noêsis, 1998, réédité par Hachette dans la collection Pluriel en 2003) -, mais louvrage de Philippe Nivet constitue la première étude synthétique densemble.
Sappuyant sur des archives nombreuses et variées (Archives nationales, SHAT, archives départementales des points de départ - Nord, Meurthe-et-Moselle, Oise, Somme
- et daccueil - Rhône, Eure, Charente-Maritime, Loiret
-, archives municipales), lauteur a également consulté quelques-uns des nombreux journaux destinés aux réfugiés (LArdennais de Paris, LAppel du foyer, LUnion des réfugiés), les mémoires et témoignages des contemporains et une impressionnante bibliographie, où figurent notamment des mémoires de maîtrise qui peuvent apporter un éclairage bienvenu sur des points particuliers de la question (citons celui de Benjamin Fauqueur sur Le Retour des réfugiés dans le Pas-de-Calais, Arras, 1999).
Le résultat de ce vaste travail de recherche est présenté de manière claire, dans une langue intelligible qui évite lécueil du jargon dinitiés. Fuyant les combats eux-mêmes, mais aussi, pour nombre dentre eux, la clameur de la bataille (bataille qui parfois ne les atteindra finalement pas), effrayés par les rumeurs de massacres (qui sappuient souvent sur les faits bien réels), évacués sur ordre ou de leur propre initiative, les réfugiés présentent des situations complexes et extraordinairement variées. Philippe Nivet sintéresse également aux rapatriés et libérés, cest-à-dire à ces Français retenus en territoire occupé par lennemi, qui ont bénéficié daccords franco-allemands négociés par lintermédiaire de la Suisse et ont pu regagner la France à travers la Confédération. Déracinés, parfois misérables, malades, séparés de leur famille, les réfugiés sont pris en charge par lEtat, qui organise leur accueil dans les «départements de lintérieur» (Ouest, Centre, Midi), en les «saupoudrant» un peu partout afin de ne pas charger trop lourdement les communes concernées ; une allocation spécifique leur est attribuée, mais ils sont encouragés à chercher du travail. Après les inévitables tâtonnements des débuts, la situation saméliore peu à peu ; mais cest seulement en 1918 que le droit des réfugiés sera pleinement établi. Entre-temps, la solidarité privée sera venue seconder laction de lEtat.
Plusieurs dizaines de pages parmi les plus intéressantes de cet ouvrage concernent la perception quont eue les populations «de lintérieur» de ces personnes déplacées venues de France du Nord et de lEst. Si les commencements ont souvent été marqués par des attitudes de compassion envers ces compatriotes tout spécialement touchés par les malheurs de la guerre, une certaine animosité a pu sinstaller par la suite, qui sexplique par la durée de leur séjour, la charge ou la concurrence économique quils représentent, mais aussi un «choc culturel», qui conduira les populations à les désigner sous lappellation méprisante (sinon infamante) de «Boches du Nord». Certains réfugiés demeureront cependant sur leur terre «daccueil», faisant souche, mais la plupart rentreront chez eux à mesure que leurs villes et villages seront libérés. Cette séquence fort longue mord largement sur lannée 1919, tant les destructions ont été massives en maints endroits, interdisant tout retour rapide des anciens habitants.
Philippe Nivet nous offre donc ici une étude complète et extrêmement bien documentée, ouvrant la voie à dautres travaux, portant, par exemple, sur laccueil des Belges ou des Serbes en France au cours de la même période.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 14/01/2005 ) Imprimer
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