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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Comprenne qui voudra
Fabrice Virgili   La France virile - Des femmes tondues à la Libération
Payot - Petite bibliothèque 2004 /  10.40 € - 68.12 ffr. / 422 pages
ISBN : 2-228-89857-0
FORMAT : 11x18 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Fabrice Virgili, chargé de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS) a soutenu sa thèse avec Pierre Laborie sur la question des femmes tondues en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Tondues parce qu’on leur reprochait des comportements de collaboration, allant de la «collaboration horizontale» à d’autres faits : dénonciation de résistants, travail avec les allemands etc.

Son ouvrage, La France «virile» (2000) est aujourd’hui réédité en collection de poche. La couverture est illustrée d’une photo anonyme, prise par des anglais, qui montre deux hommes, cigarette aux lèvres, emmenant une femme dont le visage est couvert par sa chevelure. Des photographes célèbres ont immortalisé les scènes de tonte : Robert Capa (à Chartres) ou encore Lee Miller (à Rennes), et des dizaines de photos privées ont été prises ; le poème d’Eluard, Comprenne qui voudra rappelle que tous les résistants n’ont pas approuvé ce type d’action («Comprenne qui voudra/Moi mon remords ce fut/La malheureuse qui resta/ Sur le pavé (…) Souillée et qui n’a pas compris/Qu’elle est souillée»).

Le sujet a longtemps été tu, négligé au profit d’autres champs de recherche ; le travail de Fabrice Virgili témoigne d’approches nouvelles de la guerre, qui portent sur la violence et aussi sur la question des sexes ; le châtiment de la tonte étant essentiellement un châtiment sexué puisque sur les 20000 tontes (env.) recensées (l'auteur lui, a travaillé sur 624 communes, réparties sur l'ensemble du territoire), seule une dizaine concerne des hommes. Il s'agit donc d'un châtiment sexué qui justifie le titre choisi par l’auteur et qui s’inscrit aussi dans une histoire du genre. En 1992, Alain Brossat (Les Tondues. Un carnaval moche, Levallois Perret, Manya) avait le premier abordé le sujet, mais son approche était alors différente, et inscrivait davantage la tonte des femmes et les manifestations collectives qui l’ont entourée dans un rituel folklorique.

Fabrice Virgili organise sa réflexion dans un plan en trois parties. «Du mythe à la réalité» (I), «Le temps des tontes (1943-1946)» (II), «Pourquoi ?» (III). En annexes, il pose «le faux problème des sources» ; l’ouvrage est complété d’une bibliographie et d’un index géographique.

Quelques idées reçues disparaissent à la lecture : en premier lieu, l’idée selon laquelle les tontes s’inscriraient dans la seule période de la Libération ; en fait, dès 1943, on constate des tontes, ciblées, précises, émanant de résistant soucieux de punir des collaboratrices notoires, mais la discrétion est alors de mise pour des raisons évidentes ; des tracts évoquant la menace d'un tel châtiment existent dès juillet 1941. Si la majorité des tontes ont été effectuées à la Libération, elles se sont aussi poursuivies plus tard, liées en particulier au retour des prisonniers de guerre, des déportés, mais aussi des travailleurs volontaires pour l’Allemagne, retour qui ont ravivé les souvenirs de la guerre.

Autre idée reçue : il s’agirait d’une situation française, en fait Fabrice Virgili rappelle que les Allemands, au lendemain de la Première Guerre mondiale, lors de l’occupation française, ont aussi procédé à des tontes de femmes et que ces comportements se sont prolongés jusque pendant la guerre en Allemagne ; on a également d’autres exemples dans différents pays européens : Italie, Belgique, Danemark, sans oublier - plus célèbres - les tontes pratiquées à l’époque de la guerre civile en Espagne à l’encontre des femmes républicaines. Il ne faut donc pas conclure à la singularité française mais à l’absence de recherches par ailleurs.

Pour étudier la situation française, Fabrice Virgili a dépouillé de nombreuses archives et surmonté l’opinion courante selon laquelle les sources auraient été inexistantes, ce qui lui permet de conclure à la réalité d’un fait généralisé sur l’ensemble du territoire, même si l’on repère des comportements différents selon les régions, ce qui l’autorise aussi à présenter des situations plus complexes que l’image traditionnelle.

Il estime que les femmes tondues représentent environ "une femme âgée de plus de quinze ans sur mille" ; elles ont été châtiées autant pour les faits de collaboration qu'on leur reproche que pour avoir donné l'impression pendant la guerre de ne pas partager la souffrance générale, d'avoir obtenu des facilités de ravitaillement, une vie plus douce, d'avoir échappé au sort commun marqué par la pénurie, les souffrances alimentaires, les difficultés quotidiennes. Une sociologie s'esquisse : la majorité des tondues ont été employées par l'occupant, essentiellement dans les secteurs de la santé et des services. Selon Fabrice Virgili, alors que 12% de femmes occupaient ces emplois, 30% d'entre elles ont été tondues, ce qui n'est le cas que de 19 % et de 15 % des effectifs féminins dans l'administration et les métiers intellectuels, et de peu de cas dans l'agriculture, les transports et l'industrie.

Ces tontes se déroulent le plus souvent selon les mêmes rites : on va chercher chez elles les femmes concernées, en présence d’une foule nombreuse, hommes et femmes, enfants, qui participe par des cris, des crachats, des invectives, chante la Marseillaise et affiche ainsi son patriotisme et la cohésion retrouvée, tandis que l’espace public est réinvesti. Le cortège passe par la place du village, les tontes s’effectuent, selon les périodes, devant la mairie ou encore le monument aux morts. Le parcours répond à une réappropriation de l'espace public, par le peuple, dans la liberté retrouvée. Les scénarios varient : un seul "coiffeur" ou au contraire la foule qui coupe tour à tour une mèche de cheveux, des croix gammées peintes en rouge sur le corps ou sur le crâne dénudé… Que la tonte relève le plus souvent de l’épuration spontanée n’interdit pas qu’elle soit souvent suivie d’un processus d’épuration légale, et alors le fait d’avoir été tondue pèse dans le dossier de l’inculpée. Les faits reprochés sont divers, mais tous liés à l'accusation de collaboration avec l'occupant. La tonte apparaît comme un châtiment réel mais aussi lourd du symbole de féminité qu’est la chevelure. Tondues et rendues à la liberté, les femmes se cachent, puis portent perruque ou foulard, et le plus souvent taisent leur humiliation profonde. Cette humiliation est souvent la violence essentielle, même si les tontes peuvent s’accompagner de sévices physiques. Mais cette humiliation nourrit aussi à terme chez les spectateurs un sentiment de honte ; très tôt, des chefs de la Résistance marquent leur opposition, que traduit le poème d’Eluard, et ceci peut expliquer aussi le silence qui s’est abattu sur ces images, même si elles n’ont jamais été tout à fait oubliées, puisqu’on les a souvent citées dans les évocations de la Libération. On peut rappeler Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais (1958), Le Vieil homme et l'enfant de Claude Berri (1966) ou encore la chanson de Georges Brassens, La Tondue (1965).

Fabrice Virgili pose aussi la question de savoir pourquoi l’on a peu exploité à l’époque le thème de la collaboratrice tondue, et il constate "(..)ce qui paraît le plus grand paradoxe du sujet : la simultanéité entre les tontes et l'acquisition du droit de vote par les femmes. L'opposition ne s'applique pas seulement à une loi et à un châtiment, et on assiste à deux représentations antithétiques de la femme : la tondue et la Française" (p.312).

La réponse au silence sur la tondue tient aussi à ce que, dans l’atmosphère de la Libération, il faut reconstruire et pour cela, en particulier, s’appuyer sur les femmes, on valorise alors les images de résistantes (par exemple Danielle Casanova morte en déportation) et les deux lectures de la femme ne pouvant coexister, c’est alors la résistante qui l’emporte. Sur un sujet difficile, l'ouvrage se lit aisément et doit intéresser un vaste public.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 05/02/2005 )
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       de Luc Capdevila , François Rouquet , Fabrice Virgili , Danièle Voldman
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