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L’histoire, entre morale et autocélébration
Stéphane Israël   Les Etudes et la guerre - Les normaliens dans la tourmente (1939-1945)
Editions de la Rue d'Ulm 2005 /  30 € - 196.5 ffr. / 334 pages
ISBN : 2-7288-0337-4
FORMAT : 16x24 cm

Préface de Jean-François Sirinelli.
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Plutôt que de publier les actes de la journée d’étude consacrée en 2000 à l’Ecole Normale Supérieure pendant la Seconde Guerre mondiale, les Editions de la rue d’Ulm ont choisi de faire paraître une version remaniée du mémoire de DEA de Stéphane Israël, soutenu en 1993 et consacré aux élèves de l’Ecole normale entre 1940 et 1945.

Qu’un ancien élève de l’ENS, aujourd’hui professeur associé à l’Ecole, fasse paraître aux Presses de la Rue d’Ulm un ouvrage sur les normaliens pendant la Seconde Guerre mondiale, quelques dérives narcissiques et nombrilistes étaient à craindre. Qu’un agrégé d’histoire, passé par l’ENA, conseiller référendaire à la Cour des comptes, proche conseiller de Laurent Fabius, publie une version remaniée de son DEA soutenu il y a plus de dix ans, avait de quoi laisser perplexe. De fait, la lecture de l’ouvrage confirme une partie de ces craintes formulées a priori.

En effet, l’auteur abuse des termes propres aux élèves et anciens élèves de la rue d’Ulm, mais peu connus au delà de ces cercles restreints : cacique, cacique général, turne, archicube, pot, tala, prince-tala, ernests, caïman... Les notes explicitant leur signification sont certes bienvenues lorsqu’il s’agit de clarifier le témoignage d’un ancien élève (archicube), mais pourquoi ne pas prendre de distance avec ce «vocabulaire normalien» au lieu de l’employer de manière systématique, ce au risque de cultiver l’hermétisme ?

De même, si l’auteur s’interroge sur la pertinence de la «clé normalienne» pour expliquer le comportement des uns et des autres entre 1940 et 1944, et démontre que l’appartenance à l’école ne saurait servir de facteur explicatif unique, il insiste cependant sur l’idée qu’il existe bien une «communauté normalienne». «Amitiés normaliennes», «charmes de la vie normalienne», «résistance normalienne», «famille normalienne», l’adjectif est décliné à l’infini. Cette communauté normalienne est définie comme une élite. Sur ce point, Stéphane Israël ne fait certes que reprendre le discours des directeurs successifs qui n’ont eu de cesse de veiller à ce que les normaliens bénéficient des mêmes avantages que les polytechniciens, ou encore des élèves eux-mêmes exprimant quasi ouvertement leur mépris pour «les élèves des facultés» (p.41) ou tout du moins leur supériorité. Pourtant, il semble reprendre ce discours à son compte, lorsqu’il qualifie l’Ecole de «fille de la Révolution française et joyau de la méritocratie républicaine» (p.303). Bon antidote contre cet «esprit très «rue d’Ulm»» (p.32), contre cette autocélébration diffuse, l’extrait du témoignage du philosophe Marc Soriano, reproduit en page 295.

Mais par delà ces motifs d’agacement, le travail de Stéphane Israël est très solide et fortement argumenté. Il se caractérise tout d’abord par une bonne connaissance de la production imprimée, qu’il s’agisse des souvenirs, mémoires, essais, ou des travaux scientifiques des élèves et des enseignants, ainsi que de l’abondante production historiographique sur les années de guerre. Le corpus des sources inédites constitué par l’auteur est également imposant : les témoignages des anciens élèves de l’Ecole normale, ayant effectué tout ou partie de leur scolarité durant la guerre, sont systématiquement confrontés aux documents d’archives. Les cartons dépouillés par l’auteur sont pour la plupart conservés aux Archives Nationale dans le fonds 61 AJ ainsi que dans la série F7. Mais l'auteur a également pris le soin de consulter à l’Institut la correspondance de Jérôme Carcopino, directeur de l’Ecole entre 1940 et 1944, et ministre de Vichy de février 1941 à avril 1942.

Dans ces conditions, il faut regretter que l’ouvrage présenté par les Editions de la rue d’Ulm ne rende pas compte avec une précision suffisante du travail accompli par Stéphane Israël : il y a certes une bibliographie en fin d’ouvrage, mais elle est mal organisée et les livres d’histoire y côtoient sans distinction les mémoires et les ouvrages à caractère de source. De plus, le livre ne contient ni index, ni liste des sources inédites utilisées, alors même que les dépouillements d’archives constituent le socle d’originalité du travail entrepris par Stéphane Israël. Celui-ci, sans doute conscient de ce problème, prend soin de renvoyer le lecteur à son mémoire de DEA contenant, comme tout travail universitaire, une liste des sources consultées, mais aussi les transcriptions d’entretiens avec plusieurs anciens élèves. Il pousse la sollicitude jusqu’à signaler qu’un exemplaire est déposé à la bibliothèque de la rue d’Ulm… Ce complément d’information, pourtant précieux, restera réservé à ceux qui y ont accès, à cette «élite» que constituent les élèves et anciens élèves.

Il semble donc bien que ce soit une version remaniée, mais aussi amputée, du travail de Stéphane Israël que nous présentent les Editions de la rue d’Ulm. La lecture n’en est pas moins plaisante, intéressante, enrichissante, émouvante, truffée de reproductions de documents inédits. L’auteur insiste sur la diversité des chemins empruntés par les élèves et les professeurs de l’Ecole au cours de ces années de guerre. Plusieurs de ces itinéraires sont vraiment émouvants, tel celui de Jean-Claude Pecker, dont le témoignage est retranscrit aux pages 175 et 176.

En raison du contexte et des circonstances, l’intérêt de l’ouvrage s’accroît au fil des pages, au fur et à mesure que l’Ecole normale entre dans la guerre. La première partie, consacrée à l’institution dans les années 1940-1943, dresse le portrait d’une école hors du temps, comme coupée du monde extérieur. Telle est du moins la vision que cherchait à imposer le directeur qui s’occupa avant tout de réformer les études, pour inciter les élèves à se concentrer sur les travaux. La seconde partie, portant également sur la période 1940-1943, est consacrée à l’impact de Révolution nationale et des décisions allemandes sur la «communauté normalienne» ainsi qu’aux réactions, encore mesurées, de celle-ci. La troisième et dernière partie, portant sur les années 1943-44, est la plus captivante. Sous le poids des événements, l’institution sur laquelle le directeur était parvenu à garder un certain contrôle, éclate totalement et l’auteur a alors tout le loisir de s’attarder sur le destin des élèves, sur leurs engagements et leurs tribulations. Il faut toutefois déplorer que ce derniers tiers de l’ouvrage tende à se transformer en une juxtaposition de courtes monographies consacrées aux individus – élèves ou professeurs- les plus saillants.

En définitive, cet ouvrage, qui se présente comme une suite de la thèse de Jean-François Sirinelli (Génération intellectuelle. Khâgneux et Normaliens dans l'entre-deux-guerres, Fayard, 1988), est plaisant et très enrichissant. Toutefois, on ne peut que regretter le ton complaisant de l’auteur lorsqu’il rappelle la genèse de son projet dans un «bref rappel ego-historique» (p.16). Complaisante en ouverture, la plume de Stéphane Israël devient moralisatrice au moment de conclure : «Il ne s’agit pas, pour les Français, d’entretenir je ne sais quelle culpabilité collective. Il s’agit encore moins de décerner de «bons» ou de «mauvais» points. «Ni rire, ni pleurer, mais comprendre», selon le mot de Spinoza. Mais, au-delà même de l’explication, encore faut-il rester conscient que le pire est toujours possible et se souvenir que face à ce pire, certains ont su donner le meilleur d’eux-mêmes. Pour le siècle qui commence, pour les générations préservées de l’après-guerre, c’est une leçon de courage, c’est aussi une mémoire, d’espoir. Car, comme l’a écrit Vladimir Jankélévitch : «la honte des années mauvaises est transfigurée pour nous par l’exemple impérissable de ceux qui sacrifièrent à la liberté leur avenir et leur jeunesse.» L’histoire continue» (p.315). La banalité de l’exhorte est frappante, mais il faut surtout se demander pourquoi et à quel titre l’auteur outrepasse ici son rôle d’historien pour endosser l’habit du moraliste…


Pierre-Yves Morvan
( Mis en ligne le 06/06/2005 )
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