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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Un siècle de ''premier mai''...
Danielle Tartakowsky   La Part du rêve - Histoire du 1er Mai en France
Hachette 2005 /  23 € - 150.65 ffr. / 333 pages
ISBN : 2-01-235771-7
FORMAT : 14x23 cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.
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1899 – 2002. Plus d’un siècle de changements politiques, économiques, sociaux. Quatre régimes, naissance, triomphe et déclin de la classe ouvrière issue de la deuxième révolution industrielle. Et pourtant, tous les 1er mai, chaque année, les travailleurs s’assemblent pour exprimer revendications et rêves.

Souvent, la journée semble perdre de son importance, les rangs des cortèges se clairsèment, les tracts s’amollissent, les organisateurs se divisent, et chacun de prédire, qui joyeusement, qui dans la tristesse, la chronique annoncée de la mort de la fête du travail. Et pourtant, en bon phœnix, le 1er mai retrouve régulièrement de sa superbe, mobilise, investit l’espace. En témoigne le 1er mai 2002. Le 1er mai a survécu à l’application des 8 heures de travail au lendemain de la Première Guerre mondiale ; il a survécu à sa légalisation comme fête nationale chômée au lendemain de la Seconde ; il pourrait survivre enfin à la désindustrialisation. Il survit parce qu’il porte la «part du rêve», du rêve politique, du rêve social, qui est en chaque société. Et au lieu de faire l’histoire de sa décrue, Danièle Tartakowsky se pose en permanence la question du pourquoi de sa survie.

L’ouvrage nous livre donc l’histoire des premiers mai, qui, au delà de l’apparente réitération de la date et du rituel, connaissent d’infinies variations et de subtiles évolutions. Pour cela, l’auteur a étudié le déroulement des 1er mai, leurs formes (grève, manifestation, meeting en plein air, «fête merguez», cortège), leurs fleurs (qui de l’églantine ou du muguet ?), leurs chants, leurs organisateurs, leurs espaces (contribuant à enrichir la géographie politique de l’espace parisien), les discours qui les précèdent, ceux qui les suivent et les racontent, les mettent en récit, les construisent, les images (et on regrettera fortement que ces analyses iconographiques précises ne soient jamais appuyées sur une seule reproduction !!).

L’un des intérêts de l’ouvrage est de s’attacher à tous les 1er mai, ceux, hégémoniques, de la CGT, mais aussi ceux des autres syndicats, CFTC, CFDT, ceux des résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, ceux de l’extrême gauche à partir des années 60, ceux des travailleurs immigrés, ceux de Le Pen et de l’extrême droite. Ce que montre Danièle Tartakowsky, c’est combien ce jour, créé pour exprimer l’unité des travailleurs, s’est en fait, tout au long de son histoire, révélé le miroir grossissant des divisions et des rapports de forces. Le premier mai est ainsi disputé entre syndicats et partis, associations et syndicats, entre les différentes centrales syndicales, entre socialisme et communisme, entre communisme et extrême gauche trotskiste ou maoïste ; entre ceux qui veulent faire du 1er mai une fête, et ceux qui le pense comme une lutte ; entre culture internationale, nationale et locale.

La fête internationale du travail est créée en 1889, lors du congrès de renaissance de l’internationalisme ouvrier, à Paris. Il s’agit de s’écarter des calendriers nationaux pour leur substituer un calendrier militant. On choisit la date du premier mai, en hommage aux martyrs de Chicago, mais aussi pour marquer le printemps, les beaux jours et les bourgeons. On assigne au 1er mai de porter la revendication de la limitation du temps de travail à huit heures hebdomadaire. La fête internationale connaît pourtant immédiatement d’infinies variations selon les cultures militantes nationales. En France, elle est récupérée par le monde syndical contre celui des partis ouvriers, et est conçue comme un temps de lutte, de revendications. C’est un jour de chômage, de temps volé, la grève générale en acte (quand en Allemagne ou en Angleterre, on repousse les festivités au dimanche). La fusillade de Fourmies baptise dans le sang ce qui ne saurait plus être une fête. Le 1er mai, les travailleurs quittent l’usine au bout de huit heure, et l’églantine rouge à la boutonnière, vont déposer des pétitions pour la limitation du temps de travail.

Naturellement, les années de guerre sont celle d’un étiage, mais le 1er mai 1919, dans le contexte international révolutionnaire, promet d’être grandiose. Le gouvernement cherche à désamorcer le mouvement en octroyant les huit heures de travail. Mais, même privé de son objectif originel et constitutif, le 1er mai 1919 est une journée majeure de l’histoire du mouvement ouvrier. Les années 20 et le début des années 30 sont celles d’un déclin relatif mais aussi de la lutte entre les deux centrales syndicales, CGT et CGTU pour la maîtrise, sinon du jour, du moins du pavé.

A partir de la victoire du Front populaire, dans le contexte de la lutte antifasciste, du sursaut de mobilisation de la classe ouvrière et de l’unification du mouvement ouvrier, les 1er mai deviennent des fêtes de souveraineté assumées par le pouvoir. C’est alors la fête de l’unité, d’un présent radieux. L’Etat Français de Pétain cherche à récupérer le 1er mai au profit du régime. Il reste la «fête du travail», jour de la Saint Philippe par un heureux hasard, célébration sous contrainte du travail valorisé dans l’idéologie pétainiste, associant donc les patrons à la journée qui charrie dès lors tous les poncifs du discours corporatiste. Le muguet s’impose comme fleur contre l’églantine. Rien d’étonnant à ce que la fête soit subvertie, réinvestie dans la clandestinité de la résistance, fut-elle gaulliste ou communiste. La tendance générale est ainsi à la politisation de la fête, ce qui reste contraire à sa tradition en France.

Les pouvoirs républicains restaurés font du 1er mai une fête légale et chômée : reconnaissance de la part du mouvement ouvrier dans la libération, mais signe également de l’adhésion de l’Etat aux nouvelles valeurs de l’Etat-providence. Le muguet résiste étonnamment à son usage sous Vichy. Au sortir de la guerre, la CGT doit s’employer à restaurer le primat syndical et à réinventer des formes d’actions pour ce jour désormais légal et pour lequel il n’y a plus de mot d’ordre de grève qui tienne ! Ce n’est pas l’un des moindres paradoxes du 1er mai que de voir la fête légale redevenir une occasion de revendications et de remises en cause du pouvoir. Qui plus est, l’entrée dans la guerre froide induit des scissions nouvelles dans le mouvement ouvrier dont le 1er mai ne saurait être quitte. La deuxième moitié du siècle est marquée par la multipolarisation de la fête du travail, dominée par la CGT qui ne cesse d’affirmer son hégémonie sur la journée, mais contestée par le syndicalisme chrétien qui choisit pour la première fois de s’associer à la fête, par les autres centrales syndicales nouvellement créées, FO et la FEN (enseignants), avant que n’apparaissent la CFDT.

Les années de décolonisation mettent la question des peuples colonisés et des travailleurs immigrés au programme des 1er mai. Si la solidarité est affichée, si les appels à la paix côtoient sur les tracts les revendications salariales, la présence des représentants nationalistes dans les cortèges est plus complexe et doublement limitée par les interdictions préfectorales et les frilosités confédérales qui entendent garder le monopole de la journée. L’extrême gauche fait de plus en plus irruption et vient s’ajouter à l’agrégat des organisateurs et au ballet des cortèges. En dépit d’alliances fragiles, conjoncturelles ou locales, entre la CGT et la CFDT, les premiers mai donnent à voir la désunion ouvrière, cependant que le nombre de manifestants semble décroître proportionnellement à l’augmentation du nombre d’organisateurs. L’irruption du monde associatif dans les années 80 ne fait que compliquer la donne, et se heurte à la fermeture du monde syndical qui refusent de partager «son» premier mai.

Alors que le 1er mai connaît une crise des symboles, une perte de sens, une érosion de participants, alors que le centenaire tient de la mise en bière, alors qu’il est disputé par le Front National qui a habilement investi la journée (et l’ouest parisien), Danièle Tartakowsky conclue pourtant à la puissance du mythe. Bien sûr, le 1er mai 2002 semble démontrer la puissance inentamée de la mobilisation. Mais il relève de l’accidentel (et du national). Aussi, le mythe, la «part du rêve» dont était porteur le 1er mai, le retrouve-t-elle dans le mouvement altermondialiste.

Le parallèle est éloquent. En 1889, le 1er mai fut imaginé dans l’espace temps de l’économie-monde qu’était l’Exposition universelle, à la faveur de l’espace économique transnational généré par le libéralisme en expansion. Les mouvements altermondialistes sont apparus dans l’espace temps de la nouvelle économie-monde que sont les grands rendez-vous internationaux de la finance (G7 ; G8…), à la faveur du nouvel espace de l’économie mondialisée générée par le néo-libéralisme. Les conditions sont propices à l’émergence d’un mythe en riposte. Seattle, Porto Alègre ou Millau pourraient être susceptibles de relayer, fut-ce par un nouveau calendrier, les mythes et les rêves dont le 1er mai était porteur. Le muguet pousserait sur l’après Seattle?!...


Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 29/06/2005 )
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