|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| |
La bataille de la culture | | | Stéphanie Corcy La Vie culturelle sous l'Occupation Perrin 2005 / 23.50 € - 153.93 ffr. / 407 pages ISBN : 2-262-01758-1 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm Imprimer
Une période qui fascine lOccupation -, une approche historiographique en vogue lhistoire culturelle -, et un thème aux enjeux terriblement actuels la prise en charge intellectuelle, artistique et médiatique des masses : voilà qui devait ôter des épaules de Stéphanie Corcy le poids que représente pour lhistorien la nécessité de rapprocher le lecteur de son sujet. On est tenté de dire que quelques précautions supplémentaires, quelques manuvres de communication nauraient néanmoins pas été inutiles : bien que marginalement, il manque certaines précisions. Et cest dautant plus regrettable que sagissant de termes clés dans les thèses de lauteur, de brèves définitions auraient aidé à mettre au clair dès le début, pour un lectorat appâté par le titre mais peu érudit, les différences entre pétainisme et maréchalisme par exemple.
En effet, lanalyse des processus de création, de manipulation et dinformation, qui marquent la période concernée se fait grâce à une typologie très fine, dont lorganisation indique à elle seule la volonté de lauteur de ne se réduire ni à la composante institutionnelle ni aux appartenances idéologiques, voire esthético-politiques. Cela permet, notamment, de bien comprendre les contradictions, les évolutions, les hésitations dun même personnage, ou dune même maison dédition, lorsque lun des paramètres en jeu prend soudainement le pas sur lautre.
Le principal défi relevé par Stéphanie Corcy était bien de retraduire la complexité dune des périodes les plus riches de lhistoire culturelle, pendant laquelle la lutte pour la suprématie politique aura envahi tous les domaines de la vie sociale, et où elle aura été la plus acharnée. Car, si le régime nazi peut déjà être considéré en soi comme très polycratique, et plus encore dans son administration des territoires occupés, si le fourmillement idéologique est à cette époque ininterrompu, si la France espace ici étudié - est scindée en divers territoires relevant dautorités différentes, quand tous ces éléments sont combinés, limpression dominante est celle dun monstrueux fouillis. Et la tentation qui sensuit est de se débarrasser de ce foisonnement de faits, didées, de projets, dinfluences, par le biais de la simplification, et qui plus est souvent moralisatrice. Or le travail que présente ici Stéphanie Corcy a le grand mérite déchapper à cet écueil.
De la même manière quil a parfois fallu du temps pour accepter de nuancer le tableau de lengagement idéologique et politique français (dans la résistance ou la collaboration), lauteur tient à mettre en avant les continuités avec les problématiques davant et daprès-guerre, le poids des contingences matérielles, lenvie dévasion qui a parfaitement pu primer sur dautres considérations. Stéphanie Corcy se lance aussi à lattaque de mythes construits parfois par les propres intéressés, comme celui dun Gerard Heller grand défenseur de la culture française, rempart en quelque sorte de lintérêt supérieur des arts contre une politique bornée nazie. Elle montre quici personne ne peut se prévaloir dun apolitisme total : tous, jusquaux plus emblématiques figures de lantifascisme on pense par exemple à Picasso -, ont dû composer dune manière ou dune autre avec la situation, dès lors quils prétendaient continuer dexercer une activité artistique. La position de lart pour lart, ou celle des zazous, est en soi une manière de se positionner par rapport aux autorités, et le silence peut être lexpression dune complicité ou dune révolte. Tout peut sinterpréter, mais en prenant garde de toujours contextualiser au maximum, telle est la leçon ici donnée.
En bref, louvrage est victime de ses propres qualités : en tentant de ne pas se satisfaire de classifications téléologiques, élaborées à partir du besoin de savoir qui a eu raison et qui a eu tort, il reste souvent assez obscur, même sil faut reconnaître que lépilogue essaie relativement efficacement mais a posteriori - dy remédier. Et cela est dautant plus étonnant que le corpus documentaire sur lequel l'auteure sappuie est constitué principalement de sources secondaires : on aurait donc pu sattendre à un travail de mise en forme conceptuelle et logique, plus quà une présentation tendant à lexhaustivité
Quimporte, pour le lecteur qui aura accepté de se laisser porter dans ce dédale intellectuel, le voyage naura pu être quenrichissant !
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 09/12/2005 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La vie musicale sous Vichy de Myriam Chimènes Les Intellectuels et l'Occupation, 1940-1944 de Albrecht Betz , Stefan Martens Chantons sous l'Occupation de Isabelle Doré-Rivé | | |
|
|
|
|