Jacques Garnier - 2 décembre 1805 Fayard 2005 / 26 € - 170.3 ffr. / 457 pages ISBN : 2-213-62729-0 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
Depuis plus de deux siècles, la bataille dAusterlitz est un sujet dadmiration, détude et de mythe. Elle a aussi été, quelques jours tout au plus, linstrument dune triste polémique. Mais cela ne compte guère au regard de son importance historique et militaire. Elle a dabord marqué les contemporains : livrée le 2 décembre 1805, jour anniversaire du sacre de Napoléon, mettant en présence trois empereurs, elle a couronné une campagne éblouissante et assis la réputation dinvincibilité de Napoléon et de la Grande Armée, désormais parés dune gloire immortelle. Elle a fasciné les historiens et militaires des XIXe et XXe siècles, qui y ont vu une sorte de bataille parfaite, chef duvre de la maîtrise et du génie napoléoniens. Rappelons à titre dexemple que le plan XVII du général Joffre, au moment de lentrée en guerre en août 1914, était sans doute inspiré dAusterlitz : laisser lennemi étirer lune de ses ailes pour percer son centre. La comparaison sarrête ici.
Napoléon savait aussi quil avait ce jour-là tutoyé une sorte de perfection. Il pensait également que cette victoire apporterait à son régime la légitimité qui lui manquait. Cest pourquoi, pensant à lhistoire bien avant Sainte-Hélène et le Mémorial, il sattacha à établir dAusterlitz une vision et un récit qui simposeraient à tous les autres. Il faisait cela pour toutes ses batailles, mais il mit en la circonstance un soin exceptionnel. Les grands tableaux en sont connus. Dès le mois daoût 1805, au cours de la fabuleuse «dictée de Daru», Napoléon aurait énoncé le plan qui allait transporter en quelques semaines la Grande Armée des côtés de la Manche aux rives du Danube, où elle encerclerait dans Ulm la malheureuse armée autrichienne du général Mack, réduite au destin de la chèvre au piquet. Pas encore repu, Napoléon se retournait alors vers lest et poursuivait lépée dans les reins des Russes, qui regrettaient déjà dêtre sortis des steppes. Il les rejoignait en Moravie et là, sur le plateau de Pratzen, leur infligeait lexécution finale. Maître de la volonté de ses ennemis, il leur imposait le plan de bataille de son choix. Les ayant attirés sur sa droite, volontairement affaiblie, il perçait leur centre sous un soleil resplendissant ; la garde impériale française sabrait la garde impériale russe, faisant pleurer les belles dames de Saint-Pétersbourg (moment illustré par la fameuse toile de Gérard) et les Russes en déroute fuyaient à travers les étangs gelés, dont la glace craquait, provoquant des milliers de morts par noyade ! La plupart des épisodes de ce récit épique sont faux, ou au moins grossièrement exagérés.
Spécialiste chevronné des guerres de lEmpire, quoique ayant finalement assez peu publié, Jacques Garnier se donne une double tâche dans Austerlitz. 2 décembre 1805 : tordre le cou aux légendes en même temps quil fait apparaître la vérité sur la campagne et la bataille. La première partie du livre est menée tambour battant et expose la marche à la guerre, les plans des deux camps et les grandes étapes de la campagne jusquà la fin du mois de novembre et larrivée de la Grande Armée en Moravie, entre Brünn ou Olmütz. Jacques Garnier prend la peine de traiter des opérations de Masséna en Italie et celles de Ney et Augereau au Tyrol, généralement absentes de tous les récits de cette campagne. Mais la grande affaire se déroule bien entendu sur le Danube. Alternant très bien témoignages (Ségur et Savary notamment) et exposé historique, il décrit dans un style sobre et dense la magistrale manuvre dUlm, montrant bien lévolution de la pensée et des intentions de Napoléon, au fur et à mesure que se déroulent les événements et que se précise sa compréhension de la situation.
Une fois les opérations déplacées à proximité dAusterlitz, le rythme change. Jacques Garnier décide de suivre le cheminement de la pensée impériale dans la préparation de la bataille. Jour après jour, il cite les ordres et les instructions, détaille la position des corps et des divisions de la Grande Armée et les mouvements des austro-russes. Cest parfois un peu laborieux, car assez répétitif, mais le résultat est convaincant. Il démontre que, contrairement à la légende, Napoléon na pas eu un plan conçu à lavance dans lequel il aurait forcé ses ennemis à donner tête baissée. A partir dune idée générale, il a procédé par petites touches, par constants ajustements de détail aux événements. Il a préparé plusieurs plans, ou plutôt il a préparé son armée à agir ou réagir dans plusieurs cas de figure. Ce nest que dans la soirée du 1er décembre, à la lueur des derniers renseignements sur la marche des colonnes russes et autrichiennes, quil a fait le choix du célèbre plan. Ensuite, tout senchaîne de manière presque mécanique. On doit ici regretter que les nombreuses cartes de la bataille et des jours qui lont précédée soient si tristes et malaisées à lire. Cest dautant plus étonnant que celles des premières phases de la campagne étaient claires et aidaient grandement à suivre les opérations. Le changement déchelle, la passage de la stratégie à la tactique semble avoir fait quelques dégâts de ce côté-là.
Lintérêt du livre de Jacques Garnier est de rappeler que la supériorité de Napoléon, son génie en somme, est davoir lesprit constamment en mouvement, de ne jamais sen tenir à un choix, au moins tant que celui-ci ne sest pas concrétisé, et dintégrer immédiatement toutes les nouvelles informations à sa réflexion, pour la tenir, en quelques sortes, à jour. Quel contraste avec létat-major austro-russe tirant à hue et à dia, suivant avec la rigidité dun horaire de chemins de fer un plan élaboré contre une armée dont il ignorait la force, quil ne voyait pas, et supposée se trouver dans une position quelle noccupait pas
Austerlitz fut ainsi la triple victoire dun homme, dune chaîne de commandement et dune troupe, tous en tout supérieurs à leurs ennemis.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 13/02/2006 ) Imprimer
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