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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Essai sur le Peuple de Paris en Révolution | | | Haim Burstin L'Invention du sans-culotte - Regards sur le Paris révolutionnaire Odile Jacob - Collège de France 2005 / 24.90 € - 163.1 ffr. / 233 pages ISBN : 2-7381-1685-X FORMAT : 14,5cm x 22,0cm
Préface de Daniel Roche.
L'auteur du compte rendu : Elève conservateur à l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (Enssib), Cécile Obligi est l'auteur d'un mémoire de maîtrise d'histoire intitulé Images de Jean-Sylvain Bailly, premier maire de Paris, 1789-1791. Imprimer
Professeur invité par Daniel Roche (titulaire de la chaire dhistoire de la France des Lumières), Haim Burstin a donné au Collège de France en 2002 une série de conférences intitulées «Regards sur le Paris révolutionnaire» (titre bien mieux adapté au contenu que celui qui a été retenu par les éditions Odile Jacob). La publication du texte de ces conférences nous donne loccasion de profiter des dernières réflexions dun historien italien spécialiste du Paris révolutionnaire et auteur dune thèse remarquée sur le faubourg Saint-Marcel (Une révolution à luvre, le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Seyssel, Champ Vallon, 2005).
Haim Burstin propose un ensemble de réflexions sur le Paris révolutionnaire des premières années de la Révolution en les regroupant autour de trois thèmes : le sans-culotte et, plus généralement, lapprentissage de la vie politique , les rapports entre intellectuels et Révolution, et, enfin, la violence révolutionnaire. Il ne livre pas un ensemble de thèses définitives, mais des pistes de réflexion autour de chantiers pour certains prématurément refermés (celui des sans-culottes), pour dautres un peu délaissés ces dernières années (le peuple de Paris sous la Révolution), et pour dautres encore objets dun intérêt renouvelé (la violence dans la Révolution française).
H. Burstin revient dabord sur lhistoriographie de la capitale en Révolution : après une période où lhistoire de Paris sous la Révolution était considérée comme lhistoire de la France (Paris étant alors dans une curieuse position «dexception [
] à laquelle revient paradoxalement la tâche de représenter tout», p.41), un rééquilibrage a eu lieu en faveur de lhistoire des provinces. Il est maintenant temps de revenir sur lhistoire de Paris, délaissée ces dernières décennies.
Les études sur le peuple de Paris et sur une de ses franges désormais bien connue, celle des sans-culottes, ont en fait été laissées en chantier après les critiques faites à A. Soboul (dont H. Burstin a été lélève) au moment de la parution de sa fameuse thèse. Dans un contexte apaisé, lauteur se propose de revenir sur lanalyse de Soboul. Après avoir fait le point sur les différentes critiques qui avaient été faites à Soboul et avoir souligné labsence de suites données à ces ébauches de réflexion, il revient sur les aspects économiques et sociaux de la définition du sans-culotte de Soboul. En effet, si lanalyse politique du sans-culotte lui semble toujours très valable, sa définition économique et sociale (le fameux artisan petit propriétaire inséré dans des structures de production traditionnelles) ne la pas convaincu. Lidée proposée par H. Burstin est que Soboul a en quelque sorte été dupe du discours des sans-culottes, prenant pour argent comptant ce qui nétait quun «vouloir-être», et peut-être même quun «devoir-être». Ainsi donc, non seulement il ny a pas de continuité entre lartisan dAncien Régime et le sans-culotte de la Révolution, mais il ny a pas didentité économique et sociale claire du sans-culotte. Il sagit bien plutôt dune invention des classes dirigeantes, dun modèle auquel il est valorisant de sidentifier (puisquil exclut à la fois laristocratie et la canaille, dégageant ainsi une sorte de sanior pars du peuple). Ce «moule inventé par les élites révolutionnaires pour contenir le mouvement populaire parisien» (p.91) est un moule à la fois crédible, acceptable par tous (élites et peuple), et élastique.
Ce point sinscrit dans une réflexion plus large sur la vie politique parisienne et ses mécanismes. Ainsi, H. Burstin voit dans «linvention» du sans-culotte un moyen de fournir une soudure entre classes dirigeantes et masses populaires. A travers cette idée, il propose une nouvelle interprétation des rapports peuple de Paris / classes dirigeantes, dépassant lidée dune simple instrumentalisation de lun par lautre : «Cest avec linvention du sans-culotte que simpose progressivement à Paris une sorte de paradigme de la participation populaire «compatible», et donc acceptable, donc souhaitable» (p.79). Lauteur propose aussi des pistes de réflexion sur le militantisme, sinterrogeant sur les raisons qui peuvent pousser un individu des classes populaires à sengager politiquement. Il pose également la question des moyens de communication entre élites et masses, mettant en évidence le rôle de certaines figures (Lazowski en est une) ayant fait le lien entre les deux.
Après une partie très intéressante sur les intellectuels et la Révolution, en partie centrée sur lhistoire mouvementée de lObservatoire sous la Révolution, H. Burstin aborde le problème de la violence. Rappelant lomniprésence de la violence dans la société dAncien Régime, il essaie de dégager des types de comportements violents. Il met en évidence la vogue du «protagonisme» qui pousse un individu à commettre un acte violent dans le but de sassurer prestige et visibilité. Il fait aussi ressortir un type de violence en quelque sorte «préventive», destinée à prouver quon est un bon révolutionnaire quand on veut faire oublier une origine ecclésiastique ou aristocratique par exemple, ou tout simplement quand on a peur dêtre soupçonné de ne lêtre pas assez. Parmi les autres idées sur la violence révolutionnaire, H. Burstin émet lhypothèse que la violence débridée fait suite à un élan doptimisme déçu : un espoir immense a été suscité au début de la Révolution et a été en quelque sorte trahi au moment de la fuite du roi. Après ce «désenchantement», la crainte du complot prend de telles proportions que la violence apparaît comme le seul moyen darriver à un résultat. Ces quelques lignes ne rendent compte que de quelques unes des idées que H. Burstin a commencé à explorer dans ce livre.
En définitive, on a là affaire à un ouvrage dynamique et stimulant, dans la mesure où il fait alterner réflexion générale et micro-histoire à travers des portraits de personnages marquants ou des récits daffaires judiciaires. On espère que Haim Burstin donnera une suite aux réflexions amorcées dans ces conférences données au Collège de France, et en particulier quil osera reprendre de manière systématique le chantier des sans-culottes.
Cécile Obligi ( Mis en ligne le 21/03/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Sans-culottes de Albert Soboul | | |
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