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Reconstruction d’un monde | | | Georges Finlayson Mission au Siam et en Cochinchine - 1821-1822 Olizane - Objectif Terre 2006 / 23 € - 150.65 ffr. / 307 pages ISBN : 2-88086-335-X FORMAT : 14,5cm x 21,0cm
Traduction de Georges Cousin.
L'auteur du compte rendu : Rachel Lauthelier-Mourier a soutenu en 2002 une thèse de doctorat intitulée "Géographie et rhétorique dans les récits de voyage en Orient à l'époque classique" (Paris IV-Université de Montréal). Elle est aujourd'hui Maître de Conférences à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE). Ses recherches portent sur le genre viatique et les transferts culturels (épistémologie en particulier). Imprimer
Nous sommes dans les années 1820, entre lOcéan indien et la mer de Chine, là où se dessinent, par lintermédiaire des missions religieuses et diplomatiques, les cartes dinfluence des empires européens. La France, la Hollande et la Grande-Bretagne se disputent la présence sur place, par le biais de comptoirs et de privilèges commerciaux. La mission diplomatique dépêchée vers le Royaume du Siam et lEmpire du Vietnam, sous la direction de John Crawfurd, sinscrit pleinement dans ce mouvement expansionniste.
À bord du John Adam, léquipage quitte Calcutta, alors "Gouvernement Général des Possessions Britanniques en Inde", le 21 novembre 1821. Il se rend dabord à Georgetown, qui est une colonie installée au large de la Malaisie, puis à Singapour, à Bangkok, Sechang, Saigon et Hué. Il sagit avant tout de dissiper les appréhensions étrangères quant à linfluence anglaise et de nouer des relations commerciales durables. Seulement, John Crawfurd connaît bien mal lesprit et la pratique des gouvernements avec lesquels il doit négocier, et il commet des erreurs. La mission, qui vise essentiellement labrogation des monopoles commerciaux des souverainetés locales, nobtient rien ; cest un échec.
Mais, comme souvent, ce que lon retient de cette expédition, ce nest pas tant ce qui est dit dans la relation officielle, rédigée par George Crawfurd, et trop convenue, que dans le journal de bord de George Finlayson, publié à titre privé, après sa mort. Né en Ecosse, dans un milieu modeste, George Finlayson est un pur produit de lascension sociale britannique, telle quelle a cours en ce début du dix-neuvième siècle : élève remarqué, il reçoit le soutien du chef du service de santé de larmée écossaise, accède grâce à cela à luniversité puis, ses études terminées, entre dans larmée comme chirurgien. Cest un homme de sciences de son temps, déjà moderne, qui croit au progrès de lhomme par les sciences et techniques, et dont la curiosité (au sens classique du terme : la curiositas) est sans bornes.
Il est enrôlé dans lexpédition de John Crawfurd comme médecin, mais aussi comme naturaliste, chargé de la collecte botanique et de lobservation des espèces animales. Sa relation montre combien il a été sérieux dans sa tâche. Il décrit avec beaucoup de minutie toutes les terres que longe le John Adam : topographie, hydrographie, climat, faune, flore
en un compte rendu scientifique. Car lun des domaines privilégiés du récit de voyage est la science naturelle : on découvre, on collationne, on inventorie, on décrit le monde. On se lapproprie aussi. Émule des Lumières, George Finlayson croit en la conception scientifique et moderne de lunité des sciences, par laquelle le monde apparaît dans sa totalité. Et lui-même rassemble, au fil du voyage, toutes les données éparses qui lui permettront de reconstruire lunité du monde, à tout le moins, de ce monde-là, lAsie du Sud-Est. À ce titre, la relation est belle, mais elle nest pas originale. Ce qui la rend plus intéressante encore, est quelle marque lémergence du discours ethnographique. En homme de sciences, George Finlayson essaie de décrire les peuples quil rencontre, sans jugement de supériorité : mensurations, teinte de peau, comportement et caractère
Ses descriptions nous paraissent aujourdhui bien peu objectives, mais il faut pourtant lui reconnaître davoir pris une certaine distance avec son époque : ses jugements raciaux reposent sur lhistoricisation et lévolution des sociétés plus que sur un classement biblique ou pseudo-naturaliste.
La Mission au Siam et en Cochinchine est une mine dinformations sur le Sud-Est asiatique au début du 19ème siècle, et à ce titre dabord, elle vaut dêtre lue. Cest en outre lune de ces relations quon lit avec plaisir : bien écrite, attendrissante et drôle, sur le voyage lui-même et sur lintrospection quil impose.
Rachel Lauthelier-Mourier ( Mis en ligne le 21/03/2006 ) Imprimer | | |