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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

La guerre des mémoires
Romain Bertrand   Mémoires d'empire - La controverse autour du fait colonial
Editions du Croquant - Savoir/Agir 2006 /  18,50 € - 121.18 ffr. / 219 pages
ISBN : 2-914968-20-5
FORMAT : 14,0cm x 20,5cm

L'auteur du compte rendu : Agrégé d’histoire et titulaire d’un DESS d’études stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à l’Institut catholique de Paris, à l’université de Marne la Vallée et ATER en histoire à l’IEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense.
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Un passé qui ne passe pas... Le titre du livre que Henry Rousso consacrait, en 1994, à la période et à la mémoire de Vichy est devenu une formule célèbre et rabâchée. Si les années noires de l’Occupation et de la collaboration passent, à ce qu’il semble, un peu mieux maintenant, ça coince en revanche sérieusement pour d’autres épisodes de l’histoire nationale. La colonisation est certainement celui des passés qui passe le moins bien. Elle a fait les gros titres de l’actualité en 2005, où elle est apparue prisonnière d’enjeux de mémoires et de politique.

Dans Mémoires d’empire, Romain Bertrand entreprend d’étudier et d’expliquer cette irruption du «fait colonial» dans le débat public. D’emblée, il rappelle les spécificités de cette controverse : il ne s’agit en rien d’un retour du refoulé, provoqué par des progrès de la recherche historique, mais d’un phénomène purement mémoriel et de son utilisation à des fins politiques. La colonisation est en effet un champ d’étude bien couvert par les historiens français et étrangers. Le résultat de leurs travaux est largement publié et trouve un écho ou un prolongement, souvent au gré de l’actualité, dans la presse, à la télévision ou au cinéma. Les manuels scolaires eux-mêmes abordent depuis plusieurs années tant la colonisation que la décolonisation, et évoquent la bataille d’Alger ou la répression du 17 octobre 1961 à Paris. Dans ce domaine, il n’y a guère de «redécouverte» du passé que pour ceux qui avaient fait le choix de l’ignorer. Puisque aucun fait nouveau n’est apparu, aucune avancée significative des connaissances ne s’est produite récemment, le surgissement d’un débat sur le «bilan de la colonisation» et sur la permanence de l’esprit colonial dans la France actuelle, est donc le produit de stratégies politiques de prise de parole et d’occupation de l’espace public par des groupes d’intérêt.

La toile de fond sur laquelle a éclaté la controverse sur l’histoire coloniale est celle d’une crise mémorielle qui touche la France depuis le début des années 2000. Contrairement à ce que pensait Pierre Nora, la mémoire n’est plus seulement un ensemble de lieux, elle est maintenant un terrain d’affrontement et un instrument au service de stratégies clientélistes ou revendicatrices. La loi du 24 février 2005, celle qui a mis, en quelque sorte, le feu aux poudres, est en la matière un cas d’école. Romain Bertrand analyse la façon dont une poignée de députés UMP de second rang, des départements à forte population de rapatriés pieds-noirs ou harkis, a porté cette loi de bout en bout. Il met en évidence les calculs électoraux et les liens personnels de plusieurs de ces députés avec l’OAS.

Le cas d’école se poursuit avec l’enchaînement qui s’ensuit : indignation en Algérie, contre-feux de la diplomatie française, protestations et pétitions d’historiens. Devenu national, le débat rebondit à l’automne. D’une part, sur fond de crise des banlieues, est organisée une nouvelle discussion parlementaire, sur l’abrogation de l’article 4, auquel participent cette fois les principaux responsables politiques. Aucun n’est historien, mais tous ont un avis sur les mérites et les torts comparés de la conquête coloniale et de la présence française outre-mer. Au bout du compte, l’article est maintenu. D’autre part, un nouveau discours mémoriel sur la colonisation (re)surgit dans l’espace public : celui de la «fracture coloniale». Ses promoteurs sont une nébuleuse complexe et opaque de collectifs et d’associations se réclamant de l’immigration, des Français des départements d’Outre-mer, des banlieues ou des musulmans. Pour ces «Indigènes de la République», la France est marquée par son passé colonial et raciste. Les discriminations dont sont victimes les «descendants d’ex-colonisés» ne sont que le prolongement de ce passé.

Romain Bertrand étudie donc les origines et la construction de cet autre discours. Loin d’être une simple réaction à la loi du 23 février et aux débats qu’elle a suscités, il relève aussi d’une démarche mémorielle particulière, déjà à l’œuvre depuis quelques années. La loi Taubira de 2001 avait illustré avec succès cette tendance à la mise en accusation du passé. La conférence de Durban contre le racisme en 2002 lui avait donné une sorte de légitimité internationale.

Pour apprécier Mémoires d’empire, il faut surmonter l’obstacle d’une introduction écrite dans un jargon de sciences sociales et de sciences humaines horripilant, sans doute destiné à démontrer la légitimité de l’auteur à intervenir dans ce domaine. Une fois passé cet obstacle, la lecture garantit une intense satisfaction intellectuelle, tant elle offre de sujets de réflexion. Romain Bertrand expose avec clarté les enjeux et le déroulement de la controverse. Sous forme de hors-texte, il cite abondamment : extraits de débats parlementaires, de loi, d’écrits. Il fournit des notices biographiques sur les principaux acteurs. Il rappelle des épisodes antérieurs ou annexes. Les faits, noyés dans une actualité surchargée redeviennent ainsi parfaitement intelligibles. Surtout, loin d’être un simple récit son travail est d’une extrême densité. Il analyse la production et la diffusion des discours. Il tente également d’en saisir les implications politiques profondes.

D’un côté, la loi du 23 février 2005 est révélatrice d’un changement idéologique profond au cœur de la droite française : celui de la fin du gaullisme et du retour d’une ligne plus conservatrice, qui n’hésite plus à assumer l’héritage de l’OAS et de l’Algérie française. De l’autre, il souligne les dangers du discours sur la «fracture coloniale». Elle postule en effet que les émeutes de banlieue ne sont pas la conséquence de tensions sociales ou économiques, mais un phénomène identitaire, mémoriel, voire culturel. Jamais cette dénonciation n’a été formulée par les principaux concernés, à savoir les émeutiers ou les habitants de leurs quartiers. Une partie seulement de la gauche a vu le danger de cette lecture biaisée de la réalité et a rejeté la thèse de la «fracture coloniale». Une autre s’est laissée prendre.

Mémoires d’empire rappelle que les discours sur la mémoire ne sont pas neutres. Ils sont toujours une construction et ils doivent être reçus avec prudence et évalués à la lumière de la connaissance historique. Malheureusement la facilité, la légèreté même, avec laquelle des amateurs, groupes d’intérêts, politiques ou médias, tendent à s’en emparer, fait craindre que les dérives mémorielles n’aient de beaux jours devant elles.


Antoine Picardat
( Mis en ligne le 16/11/2006 )
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