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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Nathalie Sage-Pranchère Mettre au monde - Sages-femmes et accouchées en Corrèze au XIXe siècle Archives départementales de la Corrèze 2007 / 40 € - 262 ffr. / 796 pages
L'auteur du compte rendu : Archiviste paléographe, Rémi Mathis est conservateur stagiaire des bibliothèques, en formation à lENSSIB. Il prépare une thèse de doctorat sur Simon Arnauld de Pomponne à lUniversité de Paris-Sorbonne, sous la direction de L. Bély.
Archives Départementales de la Corrèze - Le Touron 19000 Tulle
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La médicalisation progressive de la naissance constitue par ses nombreuses implications sociales et démographiques un des faits majeurs du XIXe siècle européen. Il sagit dun phénomène complexe, dont les racines remontent au milieu du XVIIIe siècle et qui ne peut être étudié que sur la longue durée. À cet égard, lhistoire de lenseignement de lobstétrique constitue une porte dentrée commode, au carrefour de problématiques variées, pour appréhender les mutations qui ont alors lieu. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie a eu loccasion de montrer dans un important essai la fécondité de ces études (Naître à lhôpital au XIXe siècle, Paris, 1999). Nathalie Sage-Pranchère en donne ici une illustration régionale, en sintéressant à lenseignement de lobstétrique en Corrèze à travers lécole départementale daccouchement de Tulle (1834-1895) dans une étude qui tient à la fois de lhistoire de la médecine, de lhistoire des femmes, de lhistoire des techniques ou de lhistoire sociale.
Lenseignement de lobstétrique en Corrèze est ancien puisque, dès 1763, des femmes sont formées par Angélique du Coudray, démonstratrice qui se déplace dans les campagnes pour former les accoucheuses rurales. À lextrême fin de lAncien Régime, lintendant organise des formations à Tulle, confiées cette fois à un chirurgien. Bien que lEmpire entreprenne de moderniser les formations médicales, la situation nest guère améliorée en province car lancienne dichotomie entre enseignement délite parisien et formation locale de moindre niveau est reconduit et entériné. Pendant près de trente ans, les sages femmes doivent alors quitter leur département pour se former à Bourges ou dans la capitale (1802-1826). Si le manque de sages-femmes dans le département amène le préfet à créer un cours à Tulle et dans plusieurs villes du département en 1827, ce nest que sept ans plus tard quest fondée par arrêté préfectoral une institution stable, lécole daccouchement, doublée de lhospice de la maternité.
Cest cette école qui est lobjet de la majeure partie de lessai de Nathalie Sage Pranchère, partagé en trois parties qui viennent questionner toutes les facettes de linstitution. Pour en étudier le cadre institutionnel, son fonctionnement et son rôle au sein de la cité, lauteur soblige à dincessants allers-retours entre la Corrèze et Paris afin de faire comprendre les logiques en jeu, pour éclairer la mise en pratique des décisions prises au niveau le plus haut, ou, au contraire, comment le local peut influencer les décisions gouvernementales. Le caractère public de lécole lui donne une importance locale qui oblige à peser limplication et le poids des élites tullistes dans son fonctionnement ainsi que limportance de lécole dans la vie locale. À plus grande échelle encore, Nathalie Sage-Pranchère étudie à la loupe le fonctionnement de linstitution, sa direction, son fonctionnement quotidien, lidentité précise des professeurs et des élèves. Se rapprochant parfois dune étude de micro-histoire, la nature des lieux, lameublement, la qualité de la nourriture, lhygiène régnant dans ces lieux voués à des interventions médicales sont tour à tour étudiés.
La troisième partie se concentre sur les élèves de lécole à travers létude des modalités dadmission, de lenseignement quelles reçoivent et de leur vie quotidienne, aussi bien au sein de létablissement quen tant que sages femmes professionnelles. Lauteur sintéresse au devenir des sages femmes et à leur insertion dans la vie sociale et professionnelle qui doit beaucoup aux liens alors tissés. Grâce à ces renseignements prosopographiques, on comprend beaucoup mieux les liens familiaux et sociaux qui relient entre elles les sages femmes et pèsent sur leur carrière. Enfin, une quatrième partie sintéresse aux accouchées et à leur séjour à la maternité.
Létude se place ainsi aux carrefours de diverses problématiques. Elle vient enrichir et préciser les travaux danthropologie historique sur la naissance, en particulier dans le cadre de la parentalité hors norme que constituent les filles mères souvent même sans bébé car laccouchement est fréquemment suivi de son abandon. En balisant les marges, louvrage analyse en creux la pratique habituelle de laccouchement. Si lon considère maintenant non plus les accouchées mais les accoucheuses, le livre constitue une contribution à lhistoire du rapport entre les sexes, en particulier à travers le travail des femmes. Bien que le métier soit naturellement considéré comme féminin, la fonction de sage-femme a peu été étudiée jusquà maintenant, en particulier pour le XIXe siècle et la province. Ce type décole est à lépoque un des rares accès des femmes à linstruction certes dans des conditions très particulières où linternat nest pas sans rappeler le cloître et sage-femme, le premier métier féminin à bénéficier dun diplôme reconnu. Au-delà de leur formation professionnelle, Nathalie Sage-Pranchère parvient à mieux cerner lidentité sociale de ces praticiennes méconnues en ayant recours aux sources notariées. Mieux cerner leur identité professionnelle également car leur statut se modifie au cours de la période étudiée en même temps que celui des acteurs de la naissance : lauteur, en étudiant lorganisation interne de létablissement, montre bien comment le médecin y prend une importance grandissante jusquà en obtenir la direction, au détriment des maîtresses sages femmes. Ne négligeons pas non plus lapport du travail dans le cadre de lhistoire locale et régionale puisquil permet de nuancer sur certains points la célèbre thèse dAlain Corbin sur le Limousin au XIXe siècle.
On trouvera dans cet ouvrage toutes les qualités formelles que lon peut attendre dun travail universitaire. Dans une introduction qui allie clarté et pédagogie, Nathalie Sage-Pranchère replace son travail dans un paysage historiographique complexe. Un plan clair et rigoureux emmène le lecteur au long de chemins bien tracés et clairement balisés. Des annexes viennent compléter et enrichir le travail tandis quune bibliographie et un état des sources viennent souligner ses bases. La valeur de louvrage repose en effet largement sur limportance et la diversité des archives mises en uvre, permettant de donner lidée la plus large et la plus précise tout à la fois de ce qua été linstitution. Le fonds concernant la maternité est bien évidemment mis à contribution en priorité (Arch. dép. Corrèze, sous-série 1X) mais lauteur a complété ses recherches grâce à létat civil (nécessaire lorsque lon parle de naissances), les actes notariés, les archives concernant la santé, la police (prostitution), la population, la justice (avortements, abandons denfants, infanticides)
Lauteur na pas négligé les sources nationales, notamment lenquête de 1786 sur les sages-femmes à lAcadémie de médecine et les documents des Archives nationales.
Les Archives départementales de la Corrèze inaugurent avec cette étude une collection utile, apte à autant mettre en valeur les travaux des historiens qui trouveront à diffuser leurs recherches que les archives départementales qui montrent le miel que lon peut faire de leurs très riches fonds. Elles fournissent avec ce fort volume cartonné, à la sobre élégance et à limpeccable typographie un bel objet qui renouvelle tout à la fois la connaissance de la Corrèze du XIXe siècle et celle de lhistoire de la naissance, considérée sous les perspectives les plus diverses.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 19/03/2008 ) Imprimer | | |
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