| Laurent Theis François Guizot Fayard 2008 / 27 € - 176.85 ffr. / 553 pages ISBN : 978-2-213-63653-5 FORMAT : 14,5cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Le premier XIXe siècle, avec ses consciences politiques, et historiques, a depuis peu le vent en poupe : après un Thiers dû à G. Valance et un Tocqueville de L. Jaume, voici le Guizot très attendu de Laurent Theis.
Très attendu parce que Laurent Theis, historien médiéviste et éditeur de la correspondance de Guizot et de sa fille Henriette ainsi que de la réédition de lHistoire dAngleterre, tourne autour du personnage depuis trop longtemps pour ne pas finalement laborder de face. Voici enfin la biographie, celle dun personnage complexe, aux facettes nombreuses : lhomme politique alterne avec lhomme dEtat, lacadémicien et lhistorien se confondent dans la figure de lintellectuel, lhomme privé un brin séducteur se reconnaît dans lorateur redouté, le père de famille et lapôtre des classes moyennes retrouvent le grand bourgeois protestant
autant de thèmes à développer et à entremêler sans privilégier les uns aux dépens des autres. La biographie exigeante dun personnage subtil, véritable «honnête homme» à la mode du XIXe siècle, sans doute trop rapidement catalogué «conservateur», une typologie qui apparaît désormais simpliste au regard du temps et des contemporains.
Un premier chapitre présente un Guizot public : histoire dune vie (1787-1874) à léchelle dun siècle et dune carrière politique météorique, qui seffondre brusquement avec la crise de 1848 et un exil anglais en forme de fuite. Du jeune journaliste et historien amoureux, on passe - via le ténor des doctrinaires et lhomme dEtat, défenseur de la «capacité, vertu, travail» comme source de démocratie à lusage des fameuses (et incomprises) «classes moyennes» - à un sage et vieux témoin, dont la plume est restée acérée et lesprit, lucide, mais qui, isolé, nest plus la conscience politique de naguère. Un premier chapitre en forme dintroduction synthétique, qui met leau à la bouche et déroule les problématiques des chapitres suivants. Car L. Theis alterne efficacement le thématique et le chronologique.
Et donc la biographie démarre effectivement avec le deuxième chapitre, consacré à lhomme politique : Guizot est lâme du «parti doctrinaire», un chef habile et ambitieux, inventeur du «oui, mais» avant lheure. Un artiste du genre plutôt quun praticien ! Du reste, le tableau de son duel avec le comte Molé a quelque chose de saisissant, dans un style classique qui est celui de la grande histoire politique et parlementaire, sensible aux effets oratoires autant quaux motifs des conflits. On passe ainsi de lhomme public à la bête politique, à lorateur inspiré aux saillies assassines. Et ce nest là quune facette dont le revers serait celle, haïe, du «politicien» qui sacrifie son éthique à ses ambitions au temps de la politique naissante et des embryons de parti, dans une France du suffrage censitaire, et dun corps électoral réduit à 200 000 hommes. Il y a aussi autour de Guizot un réseau damis et de sicaires (Duvergier de Hauranne notamment), de complices plus ou moins appréciés (Thiers), dégéries et de sympathisants. Une famille, voire un monde politique.
L. Theis parcourt la vie de Guizot à la manière dun musée thématique : il traverse les galeries consacrées aux amis, à la famille (et à ses drames : la perte inconsolée dun fils, François), aux amours (on y croise même figure archétypale de légérie - une princesse russe, Dorothée de Lieven), aux croyances ou encore aux travaux historiques, frappe à la porte du ministère où se prépare limportante loi de 1833, suit les méandres de lopinion publique et lit les libelles contre «Lord Guizot» accusé danglophilie excessive
Et de fait, lhomme est détesté, souvent incompris (le fameux «enrichissez-vous !») et fait les délices des chansonniers.
Les lieux de mémoires le Val Richer, lAngleterre qui lhébergea, Genève, la Rome protestante
- sont également visités, comme autant de petites patries. Dans cette promenade, le lecteur trouve de tout : les amours, les engagements, la religion (à l'heure où nombre de travaux historiques névoquent que la culture religieuse des personnages, L. Theis sait explorer les territoires de la foi protestante et libérale de Guizot), la journée-type, même, et les soucis domestiques dun exilé intérieur à partir de 1848. Le choix de ce plan thématique favorise une lecture transversale : autant quune biographie, cest une rencontre avec Guizot, une conversation impromptue qui passe de lintime au public, des antichambres du pouvoir au bureau de lhistorien. Ce qui rend la lecture plaisante et lérudition, légère. Certes, le lecteur formaliste pourra regretter un plan plus classiquement chronologique, mais se pose alors la question des vies de Guizot et de la manière de rendre éclairante une existence multiple. Cest chose faite avec ce choix méthodologique qui donne à lensemble un rythme dynamique.
Thiers fait partie de ces figures qui, parce quelles traversent en partie un XIXe de plus en plus obscur aux hommes du XXIe siècle, glissent peu à peu dans une douce pénombre
Loeuvre sefface, le nom est encore connu, lhomme, déjà moins. Mais Laurent Theis ressuscite avec brio, dans un style efficace, alternant érudition et interprétations personnelles, un personnage, un style politique et une culture, replacés dans un milieu, celui des élites du premier XIXe siècle. Une biographie qui fait désormais référence autour dun personnage, et dune période, redécouverts.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 06/06/2008 ) Imprimer
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