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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Apprendre à aimer sa patrie | | | Patrick Cabanel Le Tour de la nation par des enfants - Romans scolaires et espaces nationaux (XIXe-XXe siècles) Belin - Histoire de l'éducation 2007 / 40 € - 262 ffr. / 893 pages ISBN : 978-2-7011-3855-8 FORMAT : 17,0cm x 24,0cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Historien, Patrick Cabanel est professeur dhistoire contemporaine à luniversité ToulouseLe Mirail. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur les questions religieuses (protestantisme et catholicisme), la laïcité, les identités nationales, les questions scolaires. Avec cet épais volume (893 pages), Patrick Cabanel «fait le tour» de ce genre littéraire qui simpose en Europe au XIXe siècle : le tour dune nation, destiné à des fins pédagogiques (ou sy adaptant), récit qui décrit lespace national, ses frontières. Un plan clair en trois parties : «Faire le Tour, faire la Nation» ; «Le Tour de la France par deux enfants et la constitution dun genre scolaire» ; «Des nations à feuilleter, de lItalie à lAmérique du Nord» (mais la France se taille quand même la part du lion
).
Il rappelle les origines du genre : éphèbes athéniens qui à 18 ans sont envoyés «faire le tour du pays», jeunes aristocrates britanniques qui entreprennent le «tour» de lEurope avant de sinstaller ; mais aussi, dans une autre perspective, les voyages politiques des rois de France qui parcourent le royaume pour se montrer aux populations et reconnaître leur territoire («mode de gouvernement par le voyage», p.30) ou encore le tour de France quaccomplissent les compagnons en apprentissage. Autant de «tours» différents dans leurs approches et leurs fins, mais qui ont en commun de reconnaître lespace pour mieux se lapproprier.
A côté de ces «tours» classiques, Patrick Cabanel propose denvisager dautres textes voisins : dans lAllemagne qui nexiste pas encore en tant quEtat nation, mais qui se construit autour de la langue allemande (Discours à la nation allemande, Fichte, 1806), et avec la Bible comme forte référence, Novalis, dès la période romantique, songe à la rédaction dun «livre national», projet repris en 1808 par F.J. Niethammer, inspecteur denseignement primaire en Bavière, qui «soumet à Goethe un texte intitulé Nécessité dun livre national comme base de la Bildung générale de la nation» (p.51). Ce projet dun livre de lecture élémentaire ne débouchera qu'en 1905 : Germanbibel (La Bible des Germains) ; Patrick Cabanel, qui pointe les aspects très nationalistes du livre et sa volonté de construire un contrepoint allemand à la Bible, se pose la question : «Et lon peut se demander si le Mein Kampf de Hitler, devenu obligatoire dans les écoles allemandes en 1933, na pas réellement fonctionné comme le livre de la nation allemande» (p.53). A côté de ces projets pédagogiques, il y a aussi dans chaque pays une utilisation des classiques à destination dun public enfantin et scolaire à qui il sagit dinculquer une culture nationale (les fables de La Fontaine et Corneille en France par exemple, Cervantès en Espagne). En même temps se diffusent les images de paysages nationaux par la peinture, les descriptions géographiques, qui vont dans le même sens.
Utiliser le voyage comme instrument pédagogique nest pas neuf : des Aventures de Télémaque (rédigé en 1692-93) au Voyage du jeune Anacharsis (1787) en passant par les Miroirs des Princes rédigés au Moyen Âge, on ne compte plus les traités déducation qui ont adopté ce genre. Les soucis pédagogiques qui simposent dès la fin du XVIIIe siècle et à la période romantique conduisent à de multiples récits de ce type, lorsque sinvente une littérature à destination dun public enfantin quil convient dinstruire.
Mais la seconde partie du XIXe siècle, marquée par la construction des Etats-nations, favorise lélaboration de ces ouvrages à vocation à la fois pédagogique et nationaliste. Pour les Français, Le Tour de la France par deux enfants est la référence absolue. Cet ouvrage à visée pédagogique de Madame Fouillée (qui lécrit sous le pseudonyme de G. Bruno) rencontre immédiatement un immense succès. La preuve en est le nombre déditions : «Si lon regarde les choses depuis le centenaire, en 1977, on aboutit à près de 8,5 millions dexemplaires, soit près de 85 000 par an pendant cent ans. Le manuel pour élèves du primaire est même devenu un objet dhistoire, comme le montre lanalyse qui lui est consacrée dans Les Lieux de mémoire (Jacques et Mona Ozouf, Le Tour de la France par deux enfants. Le petit livre rouge de la République. T.I. P.Nora dir., 1984).
Grâce à leur fonction de manuel unique, les aventures dAndré et de Julien ont fondé une connivence culturelle pour plusieurs générations. Patrick Cabanel rappelle quil existe dautres titres qui ont joué dans le même sens (Sans Famille, Jean-Christophe, A travers lAlgérie, etc.). Il constate : «Autant de titres, aujourdhui entrés dans la mémoire collective pour une infime poignée, dans la mémoire savante pour quelques autres, et dans un oubli complet pour la plupart, mais qui tous ont compté dans la République scolaire que la France est devenue à partir des années 1870 et jusquaux années 1960 sans doute» (p.139). Un des aspects intéressants du livre est dailleurs létude de ces différents ouvrages. Chaque époque plaque ses préoccupations sur ces «tours», surfant ainsi sur une vague de succès assuré (ou espéré) : tel ce Tour de France de Mimmo et Mammola. Roman pour la jeunesse fasciste, édité à Naples en 1930 et rédigé en français par Giacomo Cavallucci et Jack H. Rousset, démarquage absolu (sans le citer !) du Tour de la France
Les colonies (et même le Canada français), elles aussi, ont fait lobjet de «tours» que recense et analyse Patrick Cabanel.
Enfin, et cest là aussi un des intérêts de cette remarquable étude, on retrouve ce type douvrages dans dautres nations. La troisième partie du livre, «Des nations à feuilleter, de lItalie à lAmérique du Nord», est particulièrement intéressante dans la mesure où elle présente des horizons moins connus. Chaque nation a décliné sous des titres différents son «tour» : Le Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de la suédoise Selma Lagerlof, prix Nobel de littérature, Töpffer et ses Voyages en zigzag pour la Suisse, le Pinocchio de Collodi et le Cuore de de Amicis en Italie, lusage fait du Quichotte en Espagne, et lécriture dun A través de Espana (1913). La formule du tour séduit les éducateurs catholiques, et au premier chef les maristes qui éditent en Espagne El libro de Espana (1928) et pour le Canada un Tour du Canada (1927).
La formule est-elle épuisée aujourdhui ? Pas sûr, répond Patrick Cabanel qui évoque les tours cyclistes (Giro italien et Tour de France), et sur un autre plan les échecs à réaliser (en cyclisme ou en édition
) un tour de lEurope...
Ouvrage universitaire, létude de Patrick Cabanel se conclut sur dabondantes notes (pourquoi les éditeurs ont ils renoncé aux notes de bas de page au profit dun report en fin de volume ?), une belle bibliographie classée, des annexes et un index. Il ne faut pas se laisser impressionner par le poids de louvrage (un pavé épais !), la lecture en est aisée et stimulante, lérudition est présentée de façon limpide. Le lecteur se sent plus intelligent et se promène avec plaisir dans ces pages qui croisent des regards : ceux de linstitution scolaire, de lédition enfantine, des nations en construction, des identités à inventer ou à confirmer. Histoires du XIXe siècle mais qui résonnent encore aujourdhui, parfois en empruntant dautres vecteurs, tel le cinéma. Certes louvrage est avant tout destiné à un public universitaire, mais il peut intéresser au-delà de ce cercle restreint.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 16/07/2008 ) Imprimer | | |
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