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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Transylvanie de toujours,des vampires aux communistes
Jean Cuisenier   Mémoires des Carpathes
Plon - Terre humaine 2000 /  28.85 € - 188.97 ffr. / 570 pages
ISBN : 2-259-19159-2
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Ce livre est une somme d’ethnologie érudite en même temps que le récit littéraire des expériences accumulées au cours des missions successives de M. Cuisenier en Roumanie, des années 70 à nos jours. On y trouve aussi bien de remarquables descriptions du Maramures profond que du Bucarest des Ceaucescu. Sous cet habillage plaisant pour l’honnête homme, l’auteur se livre à une mise en situation des structures des légendes et coutumes des Carpates roumaines, suivant les perspectives tracées par Claude Lévi-Strauss.

L’ethnologie se mêle ici aux enjeux politiques que recouvrent l’identité roumaine, définie, selon les circonstances et les régimes, comme plutôt latine ou plutôt slave, plutôt païenne ou plutôt chrétienne. L’interprétation de l’habitat, de l’habillement ou des légendes ne sont donc pas innocentes : ainsi, les autorités nationales-communistes auraient-elles voulu que tout fût rattaché aux Daces romanisés.

Mises à part les difficultés matérielles et bureaucratiques, résider chez l’habitant sous une dictature était une gageure. L’auteur dut donner à son objet d’étude un aspect anodin pour ne pas éveiller la suspicion des autorités. Rapidement en effet, il conçut des doutes sur le caractère prouvable de l’antiquité et de la romanité des faits observés et prit la mesure de la gigantesque influence de l’église orthodoxe et du monde slave sur la culture roumaine, sans pour autant contester l’ancienneté des traditions de cette région, une des mieux préservées de l’Europe.

M. Cuisenier prend l’exemple du costume populaire (p.97). L’historiographie nationaliste traditionnelle le rapproche de celui que portent les Daces sur la colonne Trajane. L’auteur montre que la romanité et la roumanité de ces vêtements n’ont rien d’aveuglant. Les Celtes aussi portaient des braies. Si ces vêtements sont effectivement de modèle proto-historique, ils ont été trop largement répandus dans le temps et l’espace pour que l’on puisse en tirer des conclusions sur la filiation historique du peuple roumain.

Au total, l’influence culturelle dominante est bien celle de l’orthodoxie. Si l’église a toléré le vieux fond de paganisme, celui-ci ne joue plus qu’un rôle annexe. L’auteur décrit l’étrange cohabitation du prêtre et du sorcier (p.326) : à l’un, la sphère publique, à l’autre, celle du privé. Quant aux communistes, ennemis de la religion, ils considéraient les relents de paganisme avec indulgence.

C’est pourtant la religion qui l’a emporté. En 1985, dans un monastère visité par M. Cuisenier, seules restaient trois soeurs : la plus jeune se préparait à enterrer ses compagnes et à remettre les clefs du monastère au métropolite. Dix ans plus tard, le communisme enterré, l’auteur retrouve la même, devenue mère supérieure régnant sur une nombreuse troupe de jeunes moniales…

L’inévitable Dracula a également conduit M. Cuisenier à s’intéresser aux pratiques funéraires. Dans la lignée de Dumézil, il se livre à une brillante étude de mythologie comparée et analyse une culture marquée par la magnification de la mort. On découvre que le Dracula de Bram Stoker décrit des coutumes tout à fait vivantes… à l’exclusion de l’existence des vampires ! Le strigoi roumain est en effet plutôt fantôme que vampire. Le sang joue peu de rôle dans ses activités. En revanche, les paysans nourrissent bien la grande crainte du retour du mort : pour éviter ce retour, on met des offrandes dans le cercueil du défunt. S’il revient malgré tout, il faut percer le coeur du cadavre avec un pieu ou un clou, ou encore l’extraire et le brûler (p.342-343).

Au terme de ce livre, on reste impressionné par la survie du monde ancien dans ces contrées retirées. Si l’on n’avait confiance dans l’auteur, on croirait parfois à une affabulation ou à la reprise d’un récit du XVIIIè siècle. M. Cuisenier est cependant pessimiste sur la subsistance des vieilles coutumes à court et moyen terme. Arts et traditions populaires ne vivent qu’autant qu’elles font sens. Le capitalisme les balaie bien plus sûrement que ne l’avaient fait la "systématisation", les pressions politiques et la grisaille communistes (p.118).

D’une grande puissance d’évocation, les Mémoires des Carpathes laissent dans l’esprit du lecteur des images fortes. On notera les belles descriptions qui ponctuent cet itinéraire de voyage romantique et fantasque. Toujours pittoresque, l’observation va bien au-delà, nourrie qu’elle est de questions d’ethnologue, qui nous font pénétrer au coeur de l’identité roumaine.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 28/08/2000 )
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