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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
| Emmanuel Droit La Stasi à l'école - Surveiller pour éduquer en RDA (1950-1989) Nouveau monde 2009 / 21 € - 137.55 ffr. / 242 pages ISBN : 978-2-84736-471-2 FORMAT : 14cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Cest une figure classique du totalitarisme : lemprise sur la jeunesse, première étape dans la confection de cet «homme nouveau» (socialiste, fasciste, communiste
) qui est au cur du projet totalitaire. Dans les faits, cela donne un encadrement de la jeunesse par des structures partisanes, mais cela suppose également sur le plan scolaire une forme de contrôle : la capacité dun État à «politiser» lespace scolaire et lenfance fait donc partie de lattirail des dictateurs. Du reste, la figure de lenfant dénonçant ses parents est un classique de cette forme daliénation. A cet égard, la RDA aura, sous lemprise soviétique, largement développé les divers moyens de cette ambition et cest tout lintérêt de louvrage bien pensé et bien écrit dEmmanuel Droit, que de sattaquer à cet aspect plus spécifique de la Stasi, en marge du renseignement, mais fondamental pour la vie des Allemands de lEst.
La Stasi fait partie des fantômes de la Guerre froide : elle naît sous la forme dun «commissariat 5», contrôlé par les Soviétiques dans leur zone, et - en parallèle à lorganisation Gehlen simpose peu à peu comme un acteur de premier rang dans la guerre de lombre
mais ce nest pas cette Stasi-là qui est au cur de louvrage : cest plutôt la police politique, immense, invisible, omniprésente, omnisciente
Dès lintroduction, Emmanuel Droit défend un point de vue original : la Stasi est ici perçue non comme une émanation de «lEtat au secret», mais comme une institution publique. Lenjeu de cet ouvrage nest pas de faire lhistoire dun service secret en charge du renseignement, mais plutôt lhistoire dune police politique puissante, qui, de 1949 à 1989, aura constitué un outil de surveillance
Une illustration parfaite de cette terreur totalitaire dautant plus prégnante que la société est au bout de quelques années de répression - sous contrôle. La traque dun hypothétique ennemi intérieur justifie tout.
Pour analyser son objet, lhistorien a recours à la comparaison, tant avec des polices politiques contemporaines au sein du bloc socialiste (le cas hongrois notamment) quavec la Gestapo : cette dernière comparaison est dautant plus éclairante que la jeunesse scrutée par la Stasi dans les années 50 appartient à une génération qui a connu le nazisme et qui sest trouvée impliquée de gré ou de force dans les jeunesses hitlériennes. Autre mode danalyse, les «affaires» et autres cas particuliers autant danecdotes édifiantes où de jeunes (voire très jeunes) «opposants à la politique soviétique» font connaissance avec la bureaucratie de la Stasi. Serait-ce alors lindice dune société allemande finalement rétive au socialisme, corsetée par un système et ses nervis ? Lenjeu de louvrage est ailleurs. La thèse de lauteur est que les archives de la Stasi ne révèlent pas la réalité de la société est-allemande, mais bien la réalité des représentations que sen faisait la Stasi. Autrement dit, les archives de la Stasi ne parleraient que de la Stasi
mais elles sont justement très loquaces.
Définissant des époques et des générations est-allemandes diverses, E. Droit montre les approches variées et évolutives de la Stasi, ses stratégies et leurs enjeux, depuis la répression initiale (face à une société allemande qui sort du conflit et nest pas forcément prête à se soumettre au diktat soviétique : les militants du parti communiste sont minoritaires, mais les institutions politiques travaillent pour eux) jusquà la surveillance finale. Une surveillance censée être dautant plus efficace quelle est invisible : le principe du panoptique appliqué à une société entière, dont chaque membre est le suspect dun autre
Mais Emmanuel Droit montre bien que cette surveillance finit par sintégrer à la vie quotidienne et être intériorisée. La Stasi se meut alors en un acteur de léducation socialiste, évoluant entre ses diverses attributions. Une troisième partie, consacrée à la trace mémorielle de la Stasi, replace cette institution et cette mission spécifique (la formation et laliénation de la jeunesse) dans la perspective plus large de lhistoire allemande.
Maître de conférences à luniversité de Rennes II, Emmanuel Droit est un bon connaisseur des affaires allemandes, en particulier de la défunte RDA. Après un premier ouvrage, publié au PUR, sur léducation socialiste en RDA, on peut considérer que cet ouvrage au sujet connexe explore un pan inattendu de cette éducation et de ce projet totalitaire. Toutefois, le choix dune problématique plutôt centrée sur la Stasi, et loptique même de louvrage donner à voir moins la société est-allemande que sa police politique donne à ce volume une réelle cohérence. Le style est clair, très pédagogique et louvrage fourmille de questions et de pistes de réflexions : une contribution importante à lhistoire de la RDA, et plus largement, à la question de la jeunesse en dictature.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 15/12/2009 ) Imprimer | | |
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