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Libération, 1973-2003 : « les trente bouleversantes » | | | Almanach 30 ans - 1973-2003 Calmann-Lévy 2003 / 30 € - 196.5 ffr. / 508 pages ISBN : 2-9520249-0-1
L'auteur du compte-rendu : Véronique Odul est chargée de la communication scientifique au Centre dHistoire de lEurope du Vingtième Siècle (Sciences Po, Paris). Elle sintéresse à la presse écrite, et plus particulièrement à la presse hebdomadaire de la seconde moitié du XXe siècle. Imprimer
«La France bouge, libérons la presse», tel est le premier titre de Libération qui paraît le 18 avril 1973, dans le sillage de mai 1968. Fruit dune réflexion menée par de jeunes intellectuels et militants dextrême-gauche, ce nouveau quotidien, dont Jean-Paul Sartre est le directeur, occupe demblée une place singulière au sein de la presse parisienne. Le projet éditorial passe par lindépendance politique et financière : un appel à la souscription des lecteurs est lancé, un réseau de «Comité Libération» est constitué, labsence de hiérarchie et légalité des salaires pour tous sont pratiquées. Libération propose alors, dans un communiqué daté du 25 mai 1973, de donner la parole «à la France den bas, celle des grands ensembles, des champs et des usines, celle du métro et des tramways».
1973-2003 : au terme dune histoire mâtinée dune profonde mutation réalisée sous lascendant de Serge July (le journal nappartient plus à son personnel, sest professionnalisé et a cédé aux logiques du marché), Libération fête son trentième anniversaire. Et aujourdhui, pour le célébrer, le quotidien publie un almanach, au format du journal, de plus de 500 pages. Une sélection riche et dense de lactualité politique, économique, sociétale et culturelle des trois dernières décennies y est présentée. Pour la «mise en scène» (selon les termes employés par le quotidien), Libération a fait appel à Oliviero Toscani, lauteur des provocantes et sulfureuses publicités pour Benetton. Il en résulte un ouvrage, haut en couleurs, aux pages artistiquement illustrées.
Libération dresse donc un panorama de ces trente années que Serge July baptise en introduction les «trente bouleversantes». Si 1973 signe brutalement la fin des «Trente glorieuses» avec le premier choc pétrolier, cette année voit également «lémergence dun nouveau monde avec ses règles, ses valeurs», que le 11 septembre 2001 aurait clôturé. La crise du modèle de croissance intensive, la révolution technologique, leffondrement du monde communiste et la globalisation sont autant dévénements majeurs qui ont concouru, explique-t-il, au profond bouleversement du monde et de nos vies, en conséquence.
Pour aborder ces trente années, six balises sont définies : lIndividu, le Corps, les Croyances, la Nouvelle France, le Global, les Plaies du monde. Une cinquantaine de thèmes viennent ensuite, en se greffant au calendrier - selon le principe de lalmanach -, montrer le monde en mutation. Tous les pans de lactualité nationale, internationale et de notre vie quotidienne sont examinés : le sexe, le dopage, le nouvel être humain, le sida, la fin du communisme, les religions, limmigration, la France en Bleus, lexplosion technologique, la pollution, Tchernobyl, la mondialisation, le terrorisme, les réfugiés, les dictateurs. Avec lappui de «unes», de titres et darticles de Libération mais aussi de nombreuses illustrations, lhistoire du journal sinscrit aussi en filigrane. Lon y retrouve un «style Libé», avec notamment les fameuses petites annonces (gratuites dans les premiers temps) qui provoquèrent dans les années soixante-dix les foudres de la justice pour «outrage aux bonnes murs» et «incitations à la débauche», lécriture mordante et parfois iconoclaste tel «lappel du 18 joint» (18 juin 1976) qui appelait à la dépénalisation du cannabis, «Le Pape à Paris et pape à ti et pape à ta et papa à tati et pape à tata
» (30 mai 1980) ou encore «Peine de mort pour la guillotine» (17 septembre 1981). La rubrique «la politique en France» est, à cet égard, instructive en offrant un panel synthétique des «unes» de chaque septennat. Mais Libération, cest aussi le quotidien qui a ouvert ses colonnes aux mouvements contestataires, à la cause des femmes, celle des homosexuel(le)s ou des sans-papiers, sujets que lon retrouve analysés. Les choix de Libération sont également culturels et le journal les assume. Un détour obligé par Jean-Paul Sartre, «lintellectuel total», simpose en fin dalmanach. Et Robert Maggiori dexpliquer que Pasolini, Bertrand Russell, Soljenitsyne, Eric Hobsbawm sont, eux aussi, des «intellectuels à la française».
Voici un volumineux ouvrage (mais peu maniable), dont la luxuriance des pages et la multiplicité des sujets évoqués invitent à parcourir à loisir. Il est vrai quen refermant cet almanach, lon ne peut que constater, avec Serge July, que ces trois dernières décennies furent bien «trente bouleversantes». Toutefois, la place que tiennent les photos dans cet almanach révèle aussi à quel point limage est devenue aujourdhui omniprésente, y compris pour les quotidiens de presse écrite, au risque parfois den oublier les mots
Véronique Odul ( Mis en ligne le 24/10/2003 ) Imprimer
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