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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
| Pierre Pellissier Diên Biên Phu - 20 novembre 1953 - 7 mai 1954 Perrin 2004 / 24 € - 157.2 ffr. / 614 pages ISBN : 2-262-02065-5 FORMAT : 15x24 cm
L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II. Imprimer
Plus lévénement séloigne de nous, plus les archives souvrent, tandis que les témoins, de moins en moins nombreux, éprouvent souvent le désir de transmettre ce quils ont vécu aux générations à venir. Cinquante années se sont écoulées depuis ce mois de mai 1954 où résonna mais les Français nen avaient encore quune vague conscience le glas de trois siècles daventures coloniales françaises. La guerre dIndochine sachève alors sur une retentissante défaite beaucoup plus psychologique dailleurs que vraiment décisive sur le plan militaire - et la perle de lEmpire échappe à cette IVe République amenée à jouer le rôle de syndic de liquidation dune fédération indochinoise que le Second Empire et la IIIe République avaient construite dans le sang, la sueur, non sans se montrer en bien des occasions bienveillante à légard de ses peuples (notamment des minorités ethniques montagnardes).
Exploitant des sources multiples et variées (sans cependant consulter les archives du SHAT), Pierre Pélissier parvient ici à reconstituer latmosphère dun lieu ce Vietnam auquel la plupart des anciens combattants resteront ensuite passionnément attachés et dune époque celle où cette France des antipodes sortait de la terrible occupation japonaise au moment où la métropole pansait les plaies ouvertes de la barbarie nazie et celles des bombardements certes inévitables mais néanmoins très meurtriers de la Libération.
«Héroïsme», voilà bien un mot qui paraît aujourdhui suranné. Et pourtant, au fil des pages, ce sont bien des héros que lauteur nous présente, dun côté comme de lautre. Ce sont dabord ces Vietnamiens communistes (ou qui le sont devenus sous la contrainte ou par nationalisme) qui se sacrifient pour un idéal désormais condamné par lhistoire, mais qui leur semblait alors riche despérance après le départ de «lexploiteur impérialiste». Encadrés par dimpitoyables commissaires politiques, des milliers dhommes, de femmes et denfants combattent ou assurent la logistique de larmée du général Giap, hissant notamment au sommet des collines qui entourent la cuvette de Dien Bien Phu ces fameux canons lourds qui assureront le succès du Vietminh (mais avec un coût humain exorbitant). Héros aussi ces Français venus de toutes les régions du pays - dont ces Alsaciens anciens Malgré-nous, passés des steppes russes aux rizières du Tonkin -, ces Français qui se battent pour une cause quils ne comprennent pas toujours, et qui nintéressent absolument pas la grande majorité de leurs compatriotes. Héros encore ces soldats de lUnion française : vietnamiens, laotiens, cambodgiens hostiles au communisme, membres de ces minorités protégées par les Français (comme les Hmongs), ces Nord-Africains et «Sénégalais», ces légionnaires. Au-delà des motivations des uns et des autres, Dien Bien Phu demeurera lun des symboles du sacrifice et du désintéressement, comme Verdun trente-huit ans plus tôt, mais cette fois les rôles sy sont inversés : ce sont les Français qui luttent contre des autochtones accrochés à leur sol natal (même si les choses ne sont évidemment pas si simples). Ce théâtre est aussi hanté par des figures moins lumineuses, comme ces «rats», ces soldats de larmée française qui ont abandonné leurs camarades et vivent terrés dans des trous sur le champ de bataille, ne sortant que la nuit pour se nourrir. Lhomme demeure humain.
Pierre Pellissier na pas hésité à renouer avec «lhistoire bataille», longtemps décriée injustement, et qui reste une évidence quil faut pourtant rappeler la base de toute étude des conflits. La bataille de Dien Bien Phu nous est ici minutieusement décrite, heure par heure lorsquil le faut. Lauteur sinterroge aussi sur les raisons de léchec final de la France et de ses alliés, le rôle important de la propagande, le bien-fondé des décisions de létat-major (à commencer par celles du général Navarre), la stratégie et la tactique des uns et des autres. Mais il évoque également larrière : les lieux de plaisir et les églises dHanoi, les couloirs des ministères et des ambassades, où hommes politiques et diplomates se livrent à des jeux subtils et dangereux, se préoccupant si peu des réalités du terrain. Là encore la partie est dailleurs inégale : tandis que Soviétiques et Chinois ont déjà imposé une discipline de fer à leurs «frères» vietnamiens, les Américains ne soutiennent quavec parcimonie des Français dont ils songent déjà à prendre la place dans la région, refusant par exemple denvoyer leurs bombardiers pour soulager les défenseurs de Dien Bien Phu.
Agrémenté dannexes fort utiles, dun index, de cartes et de photographies (où lon reconnaîtra notamment Geneviève de Galard et Bigeard), cet ouvrage résume de manière fort intéressante la somme des connaissances actuelles sur Dien Bien Phu. Accessoirement, à lheure où la France continue de rêver de grandeur et parle de monde multipolaire, cet anniversaire nous fait mesurer combien ses moyens dinfluencer les destinées du monde ont radicalement changé depuis que le nom de cette sous-préfecture du Tonkin a fait irruption sur la scène internationale, pour signifier la fin dun cycle de lhistoire de lhumanité.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 16/06/2004 ) Imprimer
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