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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
| Catherine Durandin Collectif Perspectives roumaines - Du postcommunisme à l'intégration européenne L'Harmattan 2004 / 25.50 € - 167.03 ffr. / 304 pages ISBN : 2-7475-7404-0
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Cet ouvrage collectif dirigé par un professeur de lINALCO, historienne spécialiste des relations internationales, notamment euro-atlantiques et de la Roumanie, réunit des analyses de spécialistes français, roumains, moldaves et américains, de diverses disciplines, pour traiter de lévolution de la Roumanie depuis la chute du Communisme et de Ceaucescu en 1989.
Les sujets abordés sont variés et vont des débats intellectuels sur lidentité et la mémoire, à lintégration européenne. Sans prétendre à lexhaustivité ni fournir une véritable synthèse, ce recueil donne un aperçu significatif sur la «démocratisation» et esquisse un premier bilan sur la marche à lintégration euro-atlantique du pays (déjà membre de lOTAN).
Dans «Les guerres culturelles en Roumanie post-communiste : débats intellectuels sur le passé récent», Irina Livezeanu, professeur associé à lUniversité de Pittsburgh, spécialiste en culture politique roumaine, montre comment les intellectuels et leurs soutiens dans lopinion publique se débattent avec le passé pour constituer lidentité nationale flatteuse quils croient nécessaire à la réputation internationale et à lestime de soi de la nation roumaine après la chute du communisme. Le piège classique des pays post-communistes joue ici à plein régime : une société est-européenne pré-industrielle à régime dabord national-conservateur, puis fasciste ou fascisant (ici le régime de la garde de Fer dAntonescu), tel est l«avant-communisme» peu reluisant que la Roumanie «moderne» peut invoquer pour se disculper dune adhésion profonde et nécessaire au communisme «étranger», «russe», etc. Ce piège est celui de la victimisation (et dune pensée binaire manichéenne) qui, pour éviter de penser les raisons de lavénement du communisme, au-delà de la géographie et des circonstances, cherche dans la constitution imaginaire et idéologique dune identité sans tâche quelque brevet de «fréquentabilité» internationale (adhésion européenne oblige, il faut prouver un démocratisme «profond») ou (version «dépit nationaliste» du rejet possible anticipé) de culture nationale autarcique saine.
Sur cette toile de fond, les débats interminables et pipés sur lintérêt du retour national aux gloires intellectuelles, hélas fascistes ou archaïquement «protochronistes», de lentre-deux-guerres : Eliade, Cioran, Ionesco. Lironie de lhistoire est que les carrières occidentales de ces esprits, dailleurs brillants, ont entretenu lespoir quils étaient autant déléments «récupérables» dun avant-communisme flatteur, alors que la bombe de leur passé caché explose depuis 1989. Larticle montre bien aussi que le racisme anti-tsigane et la politique anti-juive restent des épines dans la chair de lidentité «européenne» de la Roumanie. Seule la note (p.42) sur lambiguïté à ce sujet de Sorin Antohi (excellent historien des idées, également traduit et publié à LHarmattan) paraît franchement contestable.
O. Tomescu-Hatto (Bucarest, IEP-Paris) traite aussi, dans Identité et culture politique dans la Roumanie post-communiste, de la quête identitaire de son peuple, comme un symptôme du traumatisme post-communiste, en sappuyant (un peu longuement dans ce cadre) sur les théories de lidentité en sciences sociales ; il essaie de déterminer la pertinence de leurs grilles pour expliquer les choix de valeurs collectives des Roumains en matière de culture politique. Les nouvelles «mythologies» post-communistes prouvent la persistance dun fonctionnement mental foncièrement simpliste (renversement «dialectique», pourrait-on dire, du «pour» au «contre», du «bien» au «mal», inversion des idoles), qui montre que lanalyse critique réaliste du politique a encore du chemin à parcourir. Lattente du sauveur national ou européen, formes équivalentes de niaiserie politique, loscillation adolescente de lopinion (dhumeur plus que réflexion) du fantasme au dépit, la confusion des attentes matérialistes et des idéaux européens, en témoignent. On sera cependant parfois moins idéaliste que lauteur sur le niveau de culture politique des Européens et moins sévère sur limpréparation au moderne ou au «réel» que constituerait lexpérience communiste. Il nen reste pas moins quun simplisme sôtériologique du communisme na rien arrangé.
«Dynamiques euro-atlantiques, réflexions et options européennes», de Daniel Daianu (professeur déconomie à Bucarest), pose le problème de la loyauté partagée de la Nouvelle Europe entre Etats-Unis et Union européenne, à une époque délicate dintégration à lOTAN, dadhésion à lEurope et de redéfinition des valeurs par référence à un modèle «démocratique». Le fait que la Roumanie considère le leadership étatsunien de guerre froide comme responsable de sa «libération» conduit le pays à saligner sur la politique Bush de déstabilisation de lUnion comme pôle concurrent de puissance, tout en demandant à y entrer, donnant ainsi limage dun nouveau Cheval de Troie. Le désir même de reconnaissance de la Roumanie la pousse paradoxalement à flatter le camp américain en misant sur sa prédominance dans les décisions occcidentales. Au-delà, pour lUnion, la difficile modernisation de la Roumanie, létat de ses structures socio-économiques, sa corruption endémique justifient, malgré le tournant démocratique, une bienveillance prudente devant ladhésion encore différée. Lauteur reconnaît que la Roumanie en est plus demandeuse que lUnion.
Autres textes que le lecteur trouvera ici : «Jeux et enjeux de lidentité. LUnion démocratique des Magyars de Roumanie à lheure de lunité perdue» (Antonela Capelle-Pogacean, CERI) sur lactivisme de la forte minorité hongroise de Transylvanie, nostalgique de la Grande Hongrie, rappelle la situation multiethnique de la Roumanie ; «Les «Centres dexcellence» en sciences humaines et sociales et leur insertion dans les communautés scientifiques émergentes en Europe de lest» (Mihai Dinu Gheorghiu, EHESS), sur les ambitions dintégration internationale des milieux académiques roumains ; «Les arts visuels roumains au tournant du XXIe siècle» (Magda Carneci, INALCO), sur le sens des discours de limage dans le contexte post-moderne roumain ; «Du pouvoir et de lidentité : une cathédrale pour la rédemption de la Roumanie» (Carmen Popescu, Paris-IV, CNRS), sur le recours à la tradition religieuse et à sa manifestation spectaculaire, monumentale dans la mise en scène de lidentité nationale et européenne ; «Logiques identitaires, logiques étatiques. Les relations entre la Roumanie et la République de Moldavie» (Angela Demian, EHESS), sur la définition délicate du propre dans la tension entre la Roumanie et une Moldavie en construction.
Les «Tableaux dun court voyage en République de Moldavie» de Claude Karnoouh (CNRS) terminent le recueil par le récit fin, précis et souvent drôle des choses vues lors dune rapide visite (dernière semaine de juillet 2002) dans ce nouvel «Etat» et sa région révoltée de Gagaouzie par un vieux connaisseur de la Roumanie. Ses observations anthropologiques de terrain appuyées sur une expérience de quarante ans de la société roumaine font toucher du doigt la pauvreté (parfois lappauvrissement !) et labsence de perspectives. Luniversité de Comrat en Gagaouzie, sorte de village-Potemkine de lenseignement supérieur national turkmène, singe comme certaines en Afrique, un modèle occidental avec les maigres moyens du bord. Un bout du monde. «LEurope» ?
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 01/02/2005 ) Imprimer
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